Parmi la multitude de films réalisés par Im Kwon-taek, la découverte de "Festival" témoigne de la plasticité ébouriffante du cinéaste coréen, sa capacité à créer une œuvre qui, sous prétexte de représenter une couleur locale, devient complètement hybride. C'est ainsi que "Festival", en montrant une cérémonie autour de la mort d'une vieille femme, adopte des modes de narrations diverses.
Le film débute sur un ton totalement loufoque, quand l'annonce de la mort de la femme âgée, se révèle fausse, ou sujet à suspicion. Une petite fille, conviée par l'écrivain à venir assister à ses funérailles ne lui demande t-elle pas : grand-mère est à nouveau morte ? Certaines scènes désopilantes semblent aller dans le sens d'une critique de ces funérailles traditionnels suivies de deuil qui peuvent durer des mois. Pourtant, Im Kwon-taek joue totalement la carte documentaire, en donnant des précisions sur les différentes étapes des funérailles (elles sont toutes décrites par des sous-titres).
Qui plus est, le rendu minutieux de cette cérémonie, en appui sur les rituels chamaniques dont elle découle, est quasiment présenté en temps réel. Mais un peu comme dans le beau 'Chant de la fidèle Chunyang", à la dimension documentaire, étirée, vient se greffer une autre instance, qui en contrarie l'ordonnance : le désordre des corps, amplifié par des phases de pure bouffonnerie. Il faut voir par exemple cette femme qui arrive en pleurant (dans une sorte d'exagération expressive qui ressortit à la posture des pleureuses) alors que le spectateur sait que la grand-mère n'est, une fois de plus, pas encore morte.
Et, dans une sorte d'inversion carnavalesque des valeurs, les plats et boissons prévus pour les funérailles se transforment en mets de fête. Entre l'abandon sans complexe à la consommation d'alcool et la véritable cérémonie (quand la vieille femme décède enfin), tous les corps en présence, qui définissent différentes appartenances sociales, se frottent et se confrontent. Il y a notamment ce beau personnage féminin, nièce de l'écrivain, mouton noir de la famille, qui s'impose narrativement à la fois comme un relais entre les personnages, tout en étant dans une radicale distance, liée à son humeur rebelle. Un vrai corps plastique qui imprègne les plans, toujours en décalage.
Cette forme d'impureté qui traverse le film comme pour fracturer les assises traditionnelles de l'intrigue trouve un accomplissement onirique, avec cette petite fille qui tisse une histoire autour de la grand-mère. A mesure que son récit avance, sur fond d'images féeriques, dérivées d'un conte, la grand-mère se transforme, jusqu'à régresser dans un stade infantile. Il s'agit moins, par cette démarche, de créer une dialectique entre naissance et mort, que de nourrir l'imaginaire autour de la défunte pour l'inscrire dans une cycle perpétuellement renouvelable.