Qu'une oeuvre aussi folle, aussi inconfortable, aussi ambigüe, aussi inclassable que Fight Club sorte d'un gros studio aussi conservateur que la Fox reste une des blagues les plus brillantes de cette fin de siècle. Cinquante millions de dollars, une méga-star so sexy en tête d'affiche, un traitement de blockbuster, tout ça au service d'une adaptation du roman destroy de Chuck Palahniuk.


Aux commandes de cette entreprise casse-gueule et prête à exploser à la moindre anicroche, David Fincher, ravi de prendre la place laissée vacante par Peter Jackson, Bryan Singer et Danny Boyle, donne corps aux mots de Palahniuk avec un brio certain. Virevoltante, clinquante, ludique, presque sans limite, la mise en scène du cinéaste joue magistralement avec notre perception, avec notre complicité, explose le quatrième mur pour nous faire ressentir à plein nez le parcours de son personnage principal interprété avec talent par Edward Norton.


Enfants du consumérisme, d'une course effrénée à la réussite et au bonheur matériel, nous ne pouvons que nous projeter dans le quotidien de ce monsieur tout-le-monde vivant sa vie en pilotage automatique, faisant bien sagement ce que la société attend de lui. Bien confortablement, nous nous persuadons d'éprouver des émotions, de l'empathie pour le reste du monde, pour sa misère, tout en sachant parfaitement qu'une seule chose nous importe réellement: cette putain de belle lampe qui se marie si bien avec la tapisserie du salon. Rien de condamnable là-dedans, juste un état de fait, l'évolution supposée logique d'une espèce se croyant unique et immortelle.


Puis vient le renouveau. Le changement. Le poil à gratter que nous adorons détester car il nous renvoi une image peu flatteuse de notre propre existence, tout en nous donnant l'illusion de nous révolter, de porter un regard critique envers nous-mêmes et notre mode de vie bien pépère. En Tyler Durden, dont l'incarnation purement hollywoodienne est d'une logique implacable (car qui mieux que Brad Pitt pouvait incarner sa supposée antithèse ?), nous voyons non pas un messie, mais un mentor. Quelqu'un pour nous montrer la voie, à nous, la génération sans grande guerre, la génération dont on attend à la fois tout et rien. Nous, qui ne sommes finalement que les jouets de la dimension Microsoft et de la galaxie Starbuck, les victimes consentantes de la publicité Calvin Klein.


Mais si tout cela n'était qu'un leurre ? Une gigantesque manipulation ? Et si derrière le discours séduisant du nihilisme new-age ne se cachait qu'une philosophie de comptoir énonçant sentencieusement des vérités toutes faites ? Comme si finalement, à l'aube de l'an 2000, toute ambition contestataire ne pouvait mener qu'à une absurdité de plus, qu'à un endoctrinement bovin, qu'à un massif lavage de cerveau. Comme si nous étions condamné à reproduire les erreurs de la société que nous combattons. Jusqu'à la révélation finale, immense fumisterie d'un esprit malade constituant le coeur de ce qu'est le Fight Club.


Plus qu'un film culte et punk, Fight Club est peut-être tout simplement la violente catharsis d'un homme contraint de passer par les ténèbres pour apercevoir un semblant de lumière au bout du tunnel. Peut-être que la solution ne se trouve pas dans le Projet Chaos, dans la destruction de multinationales sur fond de Pixies, mais tout simplement dans la main de l'autre que nous tenons. Peut-être que derrière ses atours noirs et crasseux, derrière son cynisme jubilatoire et ses multiples niveaux de lecture, Fight Club est tout simplement l'histoire d'un homme et d'une femme, de deux paumés traversant une période étrange de leur existence... A moins que Tyler n'ai déjà gagné ?

Gand-Alf
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Repliques cultes., Gand-Alf and Emma Peel's Excellent Bluraythèque., Talkin' about my generation., Un film, une scène. et A manipuler avec précaution.

Créée

le 19 juil. 2015

Critique lue 12.4K fois

193 j'aime

24 commentaires

Gand-Alf

Écrit par

Critique lue 12.4K fois

193
24

D'autres avis sur Fight Club

Fight Club
Gand-Alf
10

Sons of Anarchy.

Qu'une oeuvre aussi folle, aussi inconfortable, aussi ambigüe, aussi inclassable que Fight Club sorte d'un gros studio aussi conservateur que la Fox reste une des blagues les plus brillantes de cette...

le 19 juil. 2015

193 j'aime

24

Fight Club
Velvetman
8

La consommation identitaire

Tout a été déjà dit sur le film de David Fincher. Film culte pour les uns, film générationnel pour d'autres. Critique mercantile de la société de consommation pour certains, film d'homosexuels...

le 28 janv. 2015

157 j'aime

4

Fight Club
Ano
5

Je suis l'ego démesuré de Jack

Beaucoup pensent que ce film n'est qu'un éloge d'une sorte de société altermondialiste nihiliste prônée par le personnage de Brad Pitt; si bien qu'on reproche souvent à Fight Club d'être une repompe...

Par

le 5 févr. 2012

149 j'aime

13

Du même critique

Gravity
Gand-Alf
9

Enter the void.

On ne va pas se mentir, "Gravity" n'est en aucun cas la petite révolution vendue par des pseudo-journalistes en quête désespérée de succès populaire et ne cherche de toute façon à aucun moment à...

le 27 oct. 2013

269 j'aime

36

Interstellar
Gand-Alf
9

Demande à la poussière.

Les comparaisons systématiques avec "2001" dès qu'un film se déroule dans l'espace ayant tendance à me pomper l'ozone, je ne citerais à aucun moment l'oeuvre intouchable de Stanley Kubrick, la...

le 16 nov. 2014

250 j'aime

14

Mad Max - Fury Road
Gand-Alf
10

De bruit et de fureur.

Il y a maintenant trente six ans, George Miller apportait un sacré vent de fraîcheur au sein de la série B avec une production aussi modeste que fracassante. Peu après, adoubé par Hollywood, le...

le 17 mai 2015

212 j'aime

20