Fight Club se situe au coeur du régime de subjectivation du capitalisme, au sens où celui-ci à la fois produit des sujets et où il assujettit. Le narrateur-héros, trentenaire et insomniaque chronique, vit une sorte d’exténuation de son sens de la réalité. Des sujets dysfonctionnels que le système capitaliste va fatalement produire en raison de ses excès va naître la possibilité de le dépasser. Tout le ressort du film est de conférer à ce sujet qui hallucine son monde, une lucidité suréminente, paradoxale. Elle lui révèle la fausseté du monde, la fantasmagorie du Capital. Le propos réactive l’idée que les expériences limite, folie, drogue, en transformant les catégories de la conscience revêtent un caractère révolutionnaire. Tyler devenu prophète fait de ses convertis les agents du retournement du système contre lui-même dans une logique de parasitage et de micro-déréglements tactiques. L’étendue du système pour totale qu’elle soit couvre l’espace de mailles suffisamment larges pour offrir aux assujettis des possibilités de braconnage et de réappropriation.
Le geste critique de Tyler ne peut pas manquer de renvoyer au statut du film Fight Club en tant qu’objet « pop ». Les impasses du monde de FC sont aussi les impasses de notre monde, il nous renvoie à nos propres impuissances. La critique du geste critique doit confronter le film à son propre statut énonciatif. Quelle véridicité revendique un message dénonçant le désir factice d’être millionnaire ou rock star prononcé par Brad Pitt devant Jared Leto ? Auto-ironie ? Contradiction? On le sait, le capitalisme a métabolisé sa critique en la transformant en spectacle. En empruntant plus que tout autre film l’esthétique et les formes de ce qui est dénoncé, FC n’incarne-t-il pas l’indistinction entre l’art et la publicité, entre la culture et le divertissement, entre la critique du spectacle et le spectacle critique à son paroxysme. On aura bien noté que la « révolution » de Durden, dont le politique aura soigneusement été refoulé, est intransitive, infra-politique. Il n’est question que de pur jouissance du chaos comme spectacle. Assumer la contradiction ne nous laisse le choix que de la fuite dans l’ironie ou la mélancolie.
Après le constat de l’échec consommé(!) des contre-cultures nous ne pouvons plus être dupes des promesses utopique et progressistes des œuvres de la Kulturindustrie. Il est bien possible qu’à l’ère de la reproductibilité technique généralisée la fonction critique de l’œuvre d’art soit impossible. Nous vivons encore dans cette nostalgie d’un pouvoir du cinéma, des oeuvres. Même celles qui sont les plus conscientes d’elles-mêmes, de leur nature de marchandise, ne peuvent sortir de cette aporie. Adorno nous avait prévenu, la croyance dans les potentialités émancipatrices de la culture de masse n’est que la projection d’un romantisme inconsolable.
Fight Club est la rêverie adolescente d’une révolte contre un monde où rien n’est interdit et rien n’est possible. Fredric Jameson disait qu’il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme. Rien ne vient moins démentir ce constat que la scène finale, la destruction hollywoodienne du monde sur fond de pop rock.