Avec "Fight Club", sorti en 1999, David Fincher nous aura tous bien eus. Et pour bien comprendre comment, il faut se demander en quoi son passé dans le milieu de la pub et du clip a pu influencer son travail de cinéaste au-delà de son talent visuel.
Lui qui a en partie façonné l’esthétique de la Génération X, a très vite constaté de quelle façon un mouvement comme le grunge, par exemple, pouvait être perverti et transformé en marque pour ados mal dans leur peau, profitant à l’industrie des maisons de disque.
“Fight Club“ représente ainsi pour son réalisateur une réflexion sur son propre statut de vendeur d’images. En réutilisant tous les codes du MTV de l’époque (musique électro-rock, esthétique craspec-glam') et du blockbuster (effets spéciaux numériques, mouvements de caméras virtuoses), il propose non pas un pamphlet anti-consumériste déguisé en film hollywoodien mais un film hollywoodien déguisé en pamphlet anti-consumériste. Ou comment le capitalisme, tout en pointant du doigt ses propres dysfonctionnements, parvient ironiquement à maintenir son hégémonie.
Après tout, Tyler Durden (interprété par un Brad Pitt alors au sommet de sa période “poster pour jeunes filles“), sous couvert de promouvoir la liberté et la révolution via ses discours anarcho-punko-cools, ne fait que proposer “un autre système de contrôle“ (coucou “Matrix Reloaded“).
La démonstration est d'une telle efficacité qu'au moment de la sortie tout le monde tombe dans le panneau. Ceux qui le découvrent adolescents (dont l’auteur de ces lignes) en font un emblème contestataire. Les critiques y voient un “produit chic et choc“ (“Positif“ n°467), pointant du doigt les placements de produits présents dans le film comme preuves de sa mauvaise-foi, sans se demander si cela ne sert justement pas son propos.
Échec en salles, “Fight Club“ est alors considéré comme l’œuvre d’un petit malin, certes talentueux, mais dont la légitimité n’arriverait qu’en 2007 avec “Zodiac“, son fameux “film de la maturité“.
La vérité est que Fincher n’a jamais été un petit malin. Et si quelque chose avait besoin de mûrir, c’est le regard du spectateur.
Le célèbre “twist“ du film se révèle ainsi moins comme une démonstration de force narrative que la première étape de maturation offerte par Fincher. C’est grâce à ce twist que nous avons eu à coeur de revoir le film (carton monumental en DVD), de le décortiquer, le déchiffrer, le remettre en question, le percer à jour, tenter de comprendre ce qui se joue au-delà des apparences.
Une démarche qui n’est pas sans rappeler celle de Graysmith dans “Zodiac“, Lisbeth dans “Millenium“ ou encore Holden dans “Mindhunter“. En somme les personnages pour qui Fincher a le plus de considération dans ses films.
Mais le cinéaste reste un indécrottable nihiliste et ses personnages, même les plus perspicaces, restent des prisonniers du système, tout comme Fincher reste le rouage d’une industrie mercantile, malgré la compréhension qu’il en a. Il ne leur reste plus, comme lui, qu’à en rire.
Car, Fincher, qui doit autant à Stanley Kubrick qu’à Peter Sellers, a toujours considéré “Fight Club“ comme une comédie. Une comédie dans laquelle il se rit de nous et du piège qu’il nous a tendu. En témoigne ce dernier plan, tout droit sorti de l’esprit romantico-nihiliste d’un ado, qui se voit parasité par l’image d’un pénis, l’ultime farce du réalisateur adressée aux spectateurs.
Alan Moore nous prévenait déjà dans “Watchmen“ : “C’est une farce“. Alors rions.
“Vous avez une sorte de désespoir hystérique dans votre rire“.