Fin de Crédit, est le troisième film de Cacoyannis et de son égérie Ellie Lambeti, qui irradie ici, plus Audrey Hepburn grecque que jamais. Après une comédie légère et urbaine, une étude de mœurs autour de l’honneur de la famille dans le cadre d’une petite ile grecque, Cacoyannis traite ici de l’honneur et la respectabilité familiale au sein d’une bourgeoisie athénienne déchue et pourrissante.
Le film commence presque comme une comédie sociale, dans l’atmosphère bourgeoise des restaurants chics d’Athènes et des villas où se donnent les réceptions, entre gens du beau monde. La soirée bridge qui ouvre le film a l’apparence brillante, mais fait vite apparaitre les difficultés financières de cette famille de la haute bourgeoisie qui l’organise : le whisky manque, mais l’épicier du coin refuse de livrer car il n’accepte plus de faire crédit...
Jadis aisée, la famille se retrouve au bord de la faillite, contrainte de vivre de l'argent emprunté. Le clan fier mais sans le sou veut garder les apparences de son statut et de son train de vie. Le père, ancien industriel prospère avale sa fierté pour tendre la main à ses relations. Plus virulente, la mère perpétuellement égoïste et superficielle est de plus en plus odieuse, prête aux pires compromissions dans sa hantise du déclassement, pour continuer à paraître dans son statut et garder son rang social.
Le flirt inoffensif d’un jeune millionnaire gréco-américain avec leur fille Chloé (Ellie Lambeti), va lui offrir la solution pour les sauver et leur réputation. Chloé fille-de-bonne-éducation-qui-aime-ses-parents accepte de se marier pour sauver les siens de la ruine. Elle va perdre sa joie de vivre et devoir renoncer à un autre prétendant moins fortuné mais plus attirant.
Le drame humain d’une jeune femme déchirée entre sa loyauté envers ses parents et ses sentiments les plus intimes constitue donc un des éléments de la trame du film. Mais un autre fil conducteur, plus intéressant s’y ajoute avec le personnage de la femme de chambre de la famille. Elle n'a pas été payée depuis un certain temps, mais reste fidèle à la famille et à Chloé. Jusqu’au jour où elle va refuser de s’en tenir une fois de plus aux convenances. Ce personnage et sa situation permettent de faire évoluer le film d’un cran et Fin de crédit devient encore plus film politique en ce qu’il dénonce une classe sociale non seulement prétentieuse et orgueilleuse, mais aussi égoïste, lâche et criminelle.
En quelques plans remarquablement filmés, le film qui s’était centré sur l’univers bourgeois et conventionnel va plonger Chloé dans des milieux populaires auxquels elle n’a jamais été confrontés. Dans une première séquence, elle prend le car avec des paysans dont les mœurs la dégoûtent ; dans la seconde, elle est sur un bateau, au milieu d’une foule populaire de pèlerins, habillée comme eux. Entre les deux il y a la prise de conscience de la réalité du monde et le cheminement intérieur d’une jeune femme qui ne veut pas forcément suivre le modèle social auquel on la destinait.
Epaulé à la direction de la photographie par Walter Lassaly (associé au courant britannique du Free cinema, opérateur notamment sur Un goût de miel) Cacoyannis excelle dans la description de ses personnages et témoigne d’une belle maîtrise classique qui ne verse jamais dans la facilité, et propose un cinéma rigoureux et touchant.
Echec commercial à sa sortie Fin de Crédit reste relativement méconnu (Cf nombre de notations SC). Film remarquable, je pense que s'il avait été tourné en Italie à la même époque, il pourrait être qualifié aujourd'hui de film important et fondateur.