Histoire d'amour au coin du feu.
Il va sans dire que la curiosité du spectateur pour Fire of Love sera, en premier lieu, happée par l'attrait des images spectaculaires des volcans en éruption que l'affiche nous promet. Nuées de fumée apocalyptique, explosions de rouges et oranges se détachant de la nuit noire, coulées incandescentes et inarrêtables, zigzaguant de part et d'autre de l'écran - chaque éruption se révèle plus impressionnante que la précédente, imprimant sur pellicule le plus extraordinaire spectacle de la Nature.
Bien sûr, ce son et lumière enflammé nous est aujourd'hui familier, chaque nouvelle éruption ayant droit à ses reportages, renvoyant ces images de cendre et de lave depuis les quatre coins du monde dès l'instant où elles adviennent. Mais les archives de Fire of Love sont différentes, car elles n'ont pas été tournées par des journalistes mais par des scientifiques, qui infusent à leur caméra une attention particulière du détail, toute l'expérience de savoir quoi et comment regarder afin que le film devienne un véritable outil de recherche. Nous n'observons pas les volcans, mais les observons eux, ces deux minuscules figures au pied des gouffres de l'Enfer, observant les monts volcaniques et leur environnement.
Leurs noms sont Katia et Maurice Krafft. Elle est géochimiste, lui est géologue, et tous deux sont tombés amoureux en 1966 autour de leur passion commune pour les volcans. De la fin des années 1960 au début des années 1990, ils deviennent les vulcanologues les plus célèbres du monde, arpentant la planète pour en comprendre les mystères, plongeant tête baissée dans le magma indéchiffrable de notre Terre. Caméra au poing pendant près de 30 ans, ils ramènent des images impensables pour partager leur savoir à tout à chacun.
La réalisatrice Sara Dosa puise dans ce magma d'archives et fait preuve d'un sens du montage, aussi bien visuel que sonore, particulièrement affuté. Fire of Love est à l'image du travail de ceux à qui il rend hommage, offrant un pantomime volcanique splendide mais terrifiant, servant à la fois de feu d'artifice et de mise en garde. Car cette beauté a un prix, et la mort est omniprésente au bord des cratères ; comme les Krafft le rappellent à plusieurs reprises, ils se savent déjà presque condamnés de toutes façons, affrontant la mort au nom de la science avec tant de hardiesse qu'elle ne pouvait finir que par les rattraper. Et le temps leur a donné raison, comme on l'apprend dès les premiers instants du film, les emportant prématurément dans l'éruption du Mont Unzen en 1991.
Pour toutes les images magnifiques qu'il nous offre, le documentaire n'oublie jamais de rappeler à quel point les forces en jeu ici nous dépassent infiniment, et plusieurs séquences d'éruption donnent des frissons. Une nuée ardente du Mont Unzen, filmée par une caméra abandonnée par un journaliste dans sa fuite, courant droit vers l'écran. Les derniers mots de David Johnston à travers sa radio, "Vancouver, Vancouver, this is it", juste avant d'être enseveli par l'explosion monstrueuse du Mont Saint-Helens en 1980. Et par dessus-tout, le fracas effroyable de l'éruption du Nevado del Ruiz en 1985, laissé à plein volume sur une image brouillée, qui a fait souffler un vent de terreur dans ma salle de cinéma.
Et pourtant. En dépit de cet aspect tragique ineffable, du destin funeste de ses protagonistes, c'est un film avant tout profondément humain. Fire of Love est parcouru de part en part de moments de légéreté, de notes d'humour nées du tempérament jovial des Krafft, d'espoir. Une séquence débordant d'humanité, filmée autour du monde, rappelle que la vulcanologie telle que le couple l'envisageait n'est pas qu'une histoire de cailloux, de feu ou de promesses d'apocalypse, mais bien une histoire d'amour, entre eux deux, avec les volcans, et pour nous tous.
"A force d'être sur les volcans loin des Hommes, je finirai par les aimer." - Maurice Krafft
Katia et Maurice Krafft sont les amants modernes de Pompéi. Ils nous laissent une empreinte indélébile, non pas dans la pierre mais dans le celluloïd ; et ont pour testament la puissance, la majesté et la destruction de la Terre. Fire of Love n'est jamais plus, mais surtout jamais moins, qu'une ode à deux personnes ayant un jour partagé un même amour, et que leur amour a tué.
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