L'effet d'une bombe
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Le Japon a subi peut-être les plus grandes plaies jamais affligées à l'humanité par ses semblables, lorsque, les 6 et 9 août 1945, les premières - et seules - bombes atomiques jamais utilisées en temps de guerre ont explosé au dessus des villes d'Hiroshima et Nagasaki, emportant dans leur souffle et par leurs retombées radioactives plus de 200 000 victimes civiles.
Il a fallu un temps pour que les habitants de l'archipel nippon, bien que résilients par culture, ne se relèvent, et quelques années pour que le cinéma ose, non sans mal, s'emparer du sujet. On considère souvent le Godzilla de 1954 comme l'un des premiers métrages à confronter le Japon à ses monstres, mais il trouve un aîné du sobre titre de Hiroshima en 1953, réalisé par Hideo Sekigawa.
Évincé des studios à cause de ses affinités communistes, Sekigawa monte son projet à l'aide du financement des professeurs et enseignants du Japon tout entier, et la participation volontaire et inattendue de plusieurs dizaines de milliers (90 000 !) d'habitants d'Hiroshima venus faire de la figuration dans les scènes qui reconstituent les conséquences directes de l'explosion. Puisant dans ses racines documentaires, le réalisateur signe une œuvre néoréaliste, touchant une authenticité rare et atteignant des sommets d'émotions à vif.
Le cœur du film est consacré à la reconstitution de l'explosion de la première bombe au dessus d'Hiroshima, et des terribles minutes, heures et jours qui s'ensuivirent, à travers le regard de familles soudainement brisées et surtout d'enfants devenus orphelins en l'espace d'un instant. Les mots ne suffisent pas à décrire l'effroi de cette séquence interminable, des ces images apocalyptiques qui s'offrent aux yeux du spectateur ; et pourtant aucune image ne saurait retranscrire que le millième de ce qui s'est réellement passé ce jour là.
Tandis que les corps couverts de suie, de sang, de cendres, de poussière et de larmes se mêlent aux ruines à perte de vue, des enfants appellent leurs mères à l'aide, des maris voient leurs épouses suffoquer dans les flammes, et les survivants entament un pantomime macabre sans but, sans direction vers laquelle se tourner dans cette nuit artificielle qui a soudain recouvert leur monde. Il n'y a d'autre répit que la mort.
Sekigawa les filme avec une grande solennité, une beauté religieuse comme une prière pour les disparus, nous partageant une horreur innommable sans jamais sombrer dans le voyeurisme ou le gore. Hiroshima est un film à l'âme meurtrie mais à l'esthétique soignée, si dur mais pourtant si beau.
En quittant la salle de cinéma, il est difficile de ne pas continuer d'entendre les violons qui partagent nos pleurs et les chœurs angéliques de la bande originale profondément tragique d'Akira Ifukube - futur habitué de la franchise du roi des monstres. Les innombrables voix coupées trop tôt d'un peuple innocent sacrifié au nom d'une guerre insensée, qui résonnent encore dans les ruines du dôme de Genbaku, et que nous ne devons jamais oublier.
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