APRÈS SÉANCE


Avec son look de pré-adulte en sweat à capuche, Damien Chazelle a réussi à s’imposer comme le réalisateur le plus talentueux de sa génération en seulement deux films (je ne compte pas en effet Guy and Madeline on a Park Bench qui n’a bénéficié que d’une sortie limitée). Deux films qui ont suffi à le propulser à la tête de mon TopRéal, ce qui est déjà une belle récompense, mais surtout qui ont rapporté pas moins de 9 Oscars ! Le gars a 33 ans et tape une moyenne de 4,5 Oscars/film pepouze. Le Mbappé du cinéma…


Avec une telle stat, il est impossible de voir le nouveau film de Damien Chazelle en étant serein. Après les pépites Whiplash (10 étoiles) et La La Land (9 étoiles), comment garder un tel niveau de qualité tout en proposant quelque chose de neuf ? Dans sa jeune filmographie, First Man est assurément différent. Déjà, on sort de la musique et du jazz, tellement cher aux cœurs des deux potes, Damien Chazelle et Justin Hurwitz. Et visuellement, c’est clairement autre chose que l’explosion de couleur de La La Land ou la photographie sépia/orange de Whiplash à la fois dynamique et faussement chaleureuse. Damien Chazelle ajoute donc une corde à son arc, et le fait en plus en visant dans le 1000 !



Houston, Tranquility Base here. The Eagle has landed.



First Man est l’adaptation du roman / biographie officielle éponyme de Neil Armstrong, écrite en 2005 par James Hansen (coproducteur du film). Le film se concentre sur les années 1962-1969, des vols extra-atmosphériques en X-15 à la célèbre mission Apollo 11 où il fut, faut-il encore le rappeler, le premier Homme à marcher sur la Lune.



SUR LE FOND : 9 étoiles



Évidemment, les parties les plus sensibles vont être en zone spoiler mais sans divulgâcher le film, un avertissement s’impose : celles et ceux qui s’attendent à voir un film sur l’espace en mode Gravity vont être déçu-e-s. J’ai d’ailleurs peur que le film se prenne quelques taquets par des spectateurs pas préparés à voir une œuvre aussi humaine et intimiste compte tenu du sujet on-ne-peut-plus universel et historique. La pseudo-polémique du planté de drapeau manquant est malheureusement assez révélateur des attentes lorsque de tels événements sont traités. Pour autant, il n’y a pas tromperie sur la marchandise, ne lisez pas ce que je n’ai pas écrit. First Man est bien entendu un film sur l’espace, plus particulièrement sur la conquête spatiale, et probablement le meilleur qui n’a jamais été réalisé.


Mais Damien Chazelle va aller au-delà de ce sujet comme les astronautes d’Apollo 11 ont repoussé les frontières du territoire foulé par l’Homme. La vie de Neil Armstrong va être un environnement parfait pour développer les thèmes chazelliens par excellence : le sacrifice, l’abnégation, le dépassement de soi, et la recherche de la performance. J’ai toujours pris Whiplash comme un Rocky où le héros serait batteur et non boxeur, se fixant un objectif et s’entrainant pour l’atteindre même si c’est au prix de nombreux sacrifices. A mon sens, First Man est clairement dans la même trempe. Être THE FU***ING FIRST MOONWALKER est sans aucun doute la chose la plus incroyable possible. Mais aussi belle soit la médaille, elle a toujours deux faces dont une, comme pour la Lune, reste cachée. Le film traite ainsi avant tout de l’intimité de cet homme obnubilé par sa mission, à la fois exalté et terrifié de devenir une icône planétaire.



Mom, what's wrong?



Nothing, honey. Your dad's going to the Moon.



L’individu, mais également son couple et sa famille, vont être complètement annihilés par ce programme mondial. Cette dimension familiale/parentale est notamment traitée à travers un évènement tragique survenu début 1962.


La mort de sa fille Karen. Neil Armstrong va ainsi poursuivre un double objectif : la Lune et son deuil, jusqu’à cette scène déchirante au pied de East Crater.


Le jeu de Ryan Gosling, souvent décrié (injustement à mon sens), sert ici parfaitement le personnage présenté comme un homme discret devenu introverti voire misanthropique par l’expérience de la vie. L’acteur livre une prestation parfois émouvante sans aller dans le pathos, toujours dans la maitrise à l’image de Neil Armstrong. Pour échapper à ses démons, celui-ci se referme, se déconnecte de sa femme et de sa famille pour se plonger corps et âme à la réalisation de sa mission, quitte à ce que le professionnalisme prenne le pas sur la sphère familiale. La similarité entre les scènes consécutives de la conférence de presse et de la dernière réunion de famille est un parfait révélateur de cette déformation professionnelle de l’extrême.


Dans ce contexte, les retrouvailles entre Neil et Janet après la mission Apollo 11 prennent tout leur sens. Celles-ci peuvent paraitre sur-jouées, mais la réelle Janet Armstrong a déclaré que « la Lune lui était monté à la tête « après leur divorce en 1994. La fiction n’est ainsi peut-être pas si loin de la réalité…


Claire Foy interprète Janet Armstrong de façon tout aussi glaçante ce qui me semble un peu moins pertinent que pour Neil. Son jeu est assez semblable au début et à la fin du film, j’aurais eu plus d’empathie pour elle si on aurait pu observer différents stades (la volonté d’aider, des tentatives d’aller mieux, la peur et enfin la haine). Mais comme son attitude est similaire tout le long du film, on se dit juste qu’ils ont toujours eu une relation purement platonique. Le reste du casting est bon, notamment Kyle Chandler (Deke) et Corey Stoll interprétant un Buzz Aldrin à la limite de la saloperie.


J’avais déjà lu certains articles sur la supposée jalousie de Buzz envers son coéquipier mais là, le film est clairement à charge. Toutefois, globalement, je pense que First Man a un taux de réalisme assez bon. Du moins, l’intrigue s’enroule autour de véritables faits marquants de la carrière de Neil Armstrong.


Son expérience en vol en haute altitude pour la NACA, la mort de sa fille Karen, sa mission Gemini 8 et l’incident de la toupie, l’incendie d’Apollo 1, le crash du LLTV, et évidemment la mission Apollo 11 avec le coup des alarmes 1202, la ballade à East Crater etc…


En bref, le film est une réussite et parvient à faire le grand écart entre la conquête spatiale de tout un peuple et l’intimité d’un seul homme.



SUR LA FORME : 8 étoiles



Pourquoi changer une équipe qui gagne, dit-on. Damien Chazelle l’a bien compris et s’est entouré pour First Man de quelques habitués : la costumière Mary Zophres et le directeur de la photographie Linus Sandgren officiant déjà sur La La Land, mais également le monteur Tom Cross et évidemment le compositeur doublement oscarisé Justin Hurwitz présents dans la Chazelle Team Force depuis Whiplash. Et pourtant, comme indiqué plus haut, First Man est visuellement différents des deux premiers longs-métrages, notamment par sa forte volonté de réalisme et d’immersion.


Exit donc les robes colorées et les envolées poétiques dans les planétariums, Damien Chazelle livre ici un thriller brut, psychologique et humain. Impossible de ne pas ressentir la dangerosité de l’action lorsque les carlingues tremblent. Et pour trembler, ça va trembler dès la scène d’ouverture. Il y a d’ailleurs une (trop) forte utilisation de shaky cam mais qui reste globalement très efficace. Surtout que tout est fait pour plonger le spectateur en plein dans l’action. Il y a par exemple une très forte utilisation de reflets. On voit très souvent des choses à travers une vitre, une fenêtre, un hublot par la visière d’un casque afin de voir le personnage mais également ce qu’il voit lui. Et puis, les plans sont très resserrés et il y a même une utilisation de POV shot lors de la mission Gemini 8 il me semble. Grace à cette caméra subjective, nous sommes dans la capsule, nous sommes dans la combinaison et nous risquons notre vie avec l’équipage. Et tous ces éléments de réalisation ont vraiment fonctionné personnellement. A plusieurs reprises, lors des moments stressants (la toupie de Gemini 8 en tête), je me suis senti oppressé, réellement angoissé comme si j’étais moi-même à 270 km d’altitude…



We need to fail. We need to fail down here so we don’t fail up there.



Il faut d’ailleurs souligner la prouesse technique de filmer de cette façon des espaces aussi confinés. La scène de passage entre la fusée et le module lunaire lors d’Apollo 11 est complètement folle. Neil Armstrong et Buzz Aldrin s’engagent dans ce module faisait à peu près la taille d’une twingo de l’espace et pourtant, la caméra placée au centre de la pièce filme tantôt l’un, tantôt l’autre dans un mouvement circulaire et incroyable fluide. A ce moment-là, nous sommes nous-aussi en apesanteur. Évidemment, certains engins ou capsules ont été légèrement agrandis mais c’est très marginal. En général, les décors sont hyper réalistes et tranchent avec ce qu’on a l’habitude de voir dans les films sur l’espace. Tout l’environnement, aussi bien visuel que sonore, a été ré-enraciné dans le concret de l’époque. Les décors ne sont pas blancs immaculés, les engins ne font pas des « fiiouuuf » en décollant. Non. C’est de la taule, de la ferraille, avec des boulons, des rivets graisseux. Tout tremble dans le bazar au démarrage et nous sommes assourdis par l’explosion en cours sous les fesses des astronautes.


Pour rester sur les scènes intéressantes, celle de la sortie sur la Lune est probablement la séquence la plus attendue. C’est une vraie réussite et je pense que cela tient notamment à l’utilisation d’un décor extérieur et non d’un plateau intérieur. La scène a été tournée dans une carrière près d’Atlanta et le résultat est incroyable (et probablement encore plus en IMAX).


Enfin, la musique, composante très importante dans le cinéma de Damien Chazelle est encore une belle réussite même si elle n’a pas ce rôle diégétique dans First Man. Les thèmes sont très efficaces, personnellement j’écoute en boucle Quarantine depuis ma sortie de la salle. Cela se sent qu’il y a un travail très soigné sur la musique, Chazelle et Gosling ayant jusqu’à intégrer au film Lunar Rhapsody, une œuvre qu’adorait Neil Armstrong.


Je n’irai pas jusqu’à dire qu’avec First Man, Damien Chazelle a décroché la Lune (elle est trop facile), mais le plus jeune réalisateur oscarisé confirme sa prééminence dans le Nouvel Hollywood. Il n’y qu’à voir le budget de ses films qui ont été multipliés par 20 en quatre ans. Il y a d’ailleurs une allusion aux budgets des programmes spatiaux dans le film, mais je ne sais pas s’il y faut y voir une métaphore… Quoi qu’il en soit, Chazelle brise ici les dernières barrières qui pouvaient peut-être encore exister autour de sa filmographie. N’oublions pas qu’il ne s’agit là QUE de son troisième film. Les trente prochaines années chazelliennes vont être palpitantes !


Bonus acteur : NON


Malus acteur : NON



NOTE TOTALE : 8,5 étoiles


Créée

le 17 oct. 2018

Critique lue 301 fois

Spockyface

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