Autant que je m’en souvienne, Klaus Kinski m’a toujours donné l’impression d’être un fou, puis – il y a quelques années de cela – j’ai vu le documentaire « Ennemis intimes » relatant la relation orageuse et terrifiante entre le cinéaste Werner Herzog et lui. Effectivement, cet homme était bel et bien un psychopathe schizophrène, le genre de bonhomme complètement infréquentable, tant l’imprévisibilité semble être le moteur de sa folie. Enfin décidé, j’ai enchaîné le visionnage des deux films aux tournages les plus chaotiques (à deux doigts d’être meurtrier) de cette alliance entre un réalisateur mythique et ce grand acteur et ordure psychopathe de son état.
Avant « Fitzcarraldo », « Aguirre, la colère de Dieu » m’a déjà fait forte impression, cette troupe de conquistadors espagnols portés par l’ambition d’un mégalomane les menant à une mort certaine. Ce film minimaliste, cette ambiance de désespoir et cette violence psychologique. La fatigue, l’épuisement de la volonté et la haine profonde des acteurs pour Klaus Kinski, parfaitement cohérente avec ce que doit être la psychologie et le mental de leurs personnages, se ressent dans tous les plans, sur tous les visages… Si le film ne raconte pas grand-chose si ce n’est une mutinerie, il exprime - en quelque sorte – la face sombre du volontarisme européen.
« Fitzcarraldo » est l’aspect lumineux et positif de « Aguirre, la colère de Dieu ». Ici, la volonté de l’homme est louée, d’un homme en particulier, se donnant le but fou de construire un Opéra au milieu de la jungle. Il devra, pour accomplir ce rêve incroyable, se confronter aux ‘réducteurs de têtes’ (les Jivaros) et faire passer à son énorme navire... Une montagne ! Dans cette entreprise, il sera aidé par les Jivaros qui - il faut bien l’avouer – s'apparente à une main-d’œuvre sans coût. À la fois effrayé par cette tribu nombreuse, devant laquelle l’équipage n’a aucune chance de survie, Fitzgerald se demandera durant toute cette épopée, pourquoi la tribu en question se met à son service en produisant un travail acharné, allant jusqu’à coûter la vie à certains d’entre eux.
Le gigantisme de certaines images témoigne de la volonté des hommes dans l’accomplissement, notamment le plan incroyable du navire, littéralement avançant en pente sur la montagne grâce à un système de poulie. Un plan sans trucage d’une beauté saisissante.
Mais pourquoi donc cette tribu met-elle autant de cœur à l’ouvrage ? Comment une telle alliance de volontaires - radicalement et anthropologiquement différents - ont pu se « mettre d’accord » pour faire passer à un énorme bateau une grande montagne. La volonté des hommes nourrit des espérances et des buts bien différents, Brian Sweeney Fitzgerald l’apprendra aux dépens de son ambitieux rêve.
« Fitzcarraldo » est une ode au dépassement de soi et au volontarisme, une grande aventure qu’on ne voit pas passer. Je me suis rendu compte que le film durait près de 2 h 30 seulement à la fin du visionnage. Son statut de chef-d’œuvre est amplement mérité. Un grand film !