Five Obstructions par Philistine
Five obstructions (2004) est un film théorique, en fait un documentaire, qui met en scène Lars von Trier en dominant dirigiste aux directives dictatoriales et son ami réalisateur Jorgen Leth en cobaye passionné genre syndrome de Stockholm.
Five obstructions, c'est donc cinq contraintes, cinq déconstructions et reconstructions de The Perfect Human, un court-métrage de 13 minutes de Jorgen Leth sorti en 1967. "Mon plan est de passer du parfait à l'humain, d'accord ?" la question rhétorique est de Lars von Trier. À travers ces discussions entre les deux réalisateurs, ces interviews, — ce côté télé-réalité, tiens, — on comprend la façon de penser de Lars von Trier.
Si les deux premières contraintes sont plutôt concrètes et techniques, les suivantes sont de plus en plus conceptuelles et pertinentes. Déçu par le résultat de la deuxième épreuve, Lars impose à Jorgen Leth soit de la recommencer — c'est-à-dire, retourner dans le quartier des prostituées à Calcutta pour être filmé en train de manger un festin de nourriture européenne accompagné de bon vin devant une horde d'enfants affamés — soit d'avoir "carte blanche". Celui-ci choisit la deuxième option, mais le but escompté par Lars von Trier n'est pas atteint. Car le maestro a une idée dernière la tête : il veut que son ami accepte le médiocre. Ça n'est pas grandiose ça ? Conséquence immédiate, et là ça devient vraiment corsé :
"Je vais te donner une règle très simple pour le prochain film. Je ne peux pas imaginer que ce soit autre chose que de la merde. Et on dira que c'est très bien si c'est de la merde. Mais il y a une condition, une seule. Il faut que ce soit un dessin animé. Le grand avantage avec le dessin animé, c'est que tu devras prendre plein de décisions. L'esthétique du film, tout ça. Ça ne pourra être que de la merde.
— Je déteste les dessins animés.
— Moi aussi."
... mention spéciale à Five Obstructions, film documentaire à suspense : parce que arrivé là, on se demande vraiment à chaque seconde ce qui va se passer ensuite. Et ensuite ? : on se frappe sur la tête en disant "mais oui, bien sûr !" parce que l'issue était ÉVIDENTE : le dessin animé de Jorgen Leth n'est PAS raté, "il serait idéal pour MTV" comme dit Lars. Le médiocre n'a pas été assimilé, l'obsession de la perfection est demeurée. D'où la dernière contrainte, un laisser aller total du contrôle : Jorgen Leth doit accepter d'être l'auteur officiel d'un film de Lars von Trier dans lequel il n'aura rien décidé et où il devra lire un texte écrit par Lars von Trier.
En fin de compte, on ne s'est jamais autant dit qu'il ne fallait pas laisser interférer quelqu'un dans ce qu'on fait, car le court-métrage de Jorgen Leth était bien mieux avant ces exercices de style. Et ce n'est pas pour autant qu'il ne fallait pas le mettre à l'épreuve.
Une jolie réflexion sur le cinéma, la contrainte et le laisser aller. Surtout pour les fans de Lars.
Re(re)gardez ses films et ses making-of avec le filtre Five Obstructions et vous verrez qu'en plus de faire des chefs d'œuvre à l'occasion, Lars von Trier est un cinéaste passionnant.