Dans la lignée de Chien enragé, Fleur pâle utilise le contexte d'après-guerre pour faire intervenir un yakuza en pertes de repères moraux. Mise à part cette base commune, Shinoda inaugure une nouvelle page du genre, et préfigure en ce sens les films de Fukasaku, mais sans la révolte violente contre le nihilisme qui les caractérise. En effet, sorti de prison, le monde de Muraki a changé, mais pas lui. Les codes et l'honneur sont à présent agencés en fonction de la gestion de territoire : les alliances ou les luttes d'hier ne sont plus applicables aujourd'hui. Il est alors anesthésié, sans appétit de vie. Même l'amour se réduit pour lui à des parties de jambe en l'air sans aucune passion. La mise en scène froide, ainsi que le rythme lancinant traduisent cet état d'absence d'âme. Il y a aussi de très belles compositions d'image, à la fois aériennes et délétères, reflétant parfaitement son allure de mort-vivant : malgré une voix off accompagnant parfois les désillusions vécues par ce dernier à la manière de la Nouvelle Vague, c'est essentiellement par cette mise en images que se révèle à nous son mal-être existentiel.
D'autre part, l'histoire se caractérise par son absence de fil conducteur "fort" et son montage qui se distingue parfois des codes "traditionnels", épousant avant tout les errances du personnage principal, essentiellement à cheval entre jeux de cartes et exigences de son clan, tout aussi vidés de sens. Le récit se structure un peu plus lorsqu'il rencontre une partenaire de jeu, grâce à qui il retrouve un peu de chaleur, d'intensité : sa capacité à "flamber" de l'argent lui offre la seule option possible au-dehors de la déchéance morale qui l'attend dans son clan. Cette intensité retrouvée en pointillés atteindra un pic dans une conclusion empreinte de fatalité vers laquelle le personnage principal semble se précipiter inéluctablement. Jusqu'au bout l'identité de cette femme demeure mystérieuse, mais finalement peu importe, seule comptait ce qu'elle représentait pour lui, un désir réactivé et inespéré au milieu de sa vie morne et répétitive. Bref, un yakuza eiga hanté par la présence du féminin, un fait assez rare à l'époque pour être souligné.
Cependant, ce qui fait la force du film, à savoir la forme qui s'adapte à son sujet, par une ambiance froide et un rythme lancinant, mais aussi les nombreuses parties de jeu - qui m'ont rebuté, tout occidental, que je suis, par leur hermétisme - où visiblement plein de choses majeures se déroulent devant nos yeux, m'ont parfois fait sortir de l'histoire.