Critique : Flight (par Cineshow.fr)

Pendant plus d’une décennie, Robert Zemeckis, l’immense réalisateur de Forrest Gump, Roger Rabbit, ou encore de la mythique saga Retour vers le futur, s’était éloigné des films « réels », préférant se consacrer à des projets plus innovants. On lui doit notamment Boewulf, Le pôle express ou le drôle de Noel de Scrooge, que des films en motion capture qui ont énormément contribué au développement et au perfectionnement de cette technologie. Pour autant, malgré les exploits techniques, ces œuvres n’arrivaient pas vraiment à la cheville de ses réalisations « live », expliquant l’évidente attente autour de Flight. Un retour forcément enthousiasmant dans un registre proche de ces dernières anciennes réalisations (Seul au monde, Apparences), le drame introspectif. Ici, point de Tom Hanks ou d’Harrison Ford mais un Denzel Washington impressionnant dans un rôle de composition pour évoquer le problème de l’alcoolisme. Un film d’autant plus marquant dans la filmographie de Zemeckis qu’il vient mettre un coup d’arrêt brutal à une série de films destinés avant tout aux enfants par un drame assez peu reluisant.

Car derrière le titre qui pourrait de prime abord faire penser à un film autour des avions (ce qu’il est en parti), c’est surtout la métaphore de l’état d’ébriété perpétuel qui est évoqué, un état constant chez ce pilote de ligne pour qui la boisson est l’un des rituels régulier de la sa journée. On comprend donc assez vite que la volonté de Zemeckis est de présenter très tôt dans le récit l’alcoolisme par l’angle de la maladie, de l’addiction, et non comme un moyen pour nos personnages pour finir systématiquement et volontairement ivres. Par de petites scènes faussement anecdotiques en début de récit, il montre ce pilote véritablement gangrené par l’emprise de la boisson tout en l’acceptant bien volontiers. Et cet état moralement discutable ne semble avoir aucune emprise sur sa capacité à mener à bien son métier jusqu’à la catastrophe attendue, élément déclencheur de toute l’intrigue du projet. Une scène d’une immersion totale et à la tension sidérante puisqu’à aucun moment la caméra ne sort de l’enceinte confiné du fuselage. Embarqué avec le pilote dans le cockpit, le crash se vit de l’intérieur et délivre l’espace de quelques minutes son lot d’ascenseurs émotionnels, passant en quelques secondes de l’espoir à la détresse, puis à la crispation, à la joie, à l’interrogation etc… Zemeckis prouve ainsi qu’il n’a rien perdu de son talent de cinéaste dans l’art du cadrage et du montage et signe à ce titre un début de film franchement impressionnant et dynamique, contrastant d’autant plus fort avec la suite du récit beaucoup plus intimiste et juridique.

Pendant les deux heures suivantes, Zemeckis en équilibriste abordera deux sujets liés que sont le rapport à l’alcool du personnage central, son attitude auto-destructrice post-crash et sa contribution à l’enquête pour faire la lumière sur le drame, tout en maintenant assez clairement le point essentiel que ce pilote, en dépit de son état d’ivresse « contrôlé » a réussi l’exploit de sauver 106 personnes sur les 112 à bords. Se revendiquant comme le seul homme a avoir pu réussir une manœuvre aussi complexe pour limiter la catastrophe (point que sera prouvé par la suite), le personnage de Whip Whitaker met en exergue une question assez effrayante : est-ce que sans cet état d’ivresse lattant, la décision d’entamer une manœuvre aussi complexe, aussi risquée, aussi improbable aurait été prise ? Probablement pas. De fait, les spectateurs sont invités à s’interroger sur la valeur de l’acte héroïque, son cadre mais aussi sur l’acceptation de la prise de conscience de la situation. Notre morale est ainsi volontairement mise à mal entre le constat d’un sauvetage miraculeux et la tromperie publique que le personnage perpétue à travers son état d’ébriété régulier. Une situation peu évidente que Zemeckis arrive à maintenir pendant toute la durée du film sans véritablement prendre parti si ce n’est à la toute fin comme pour lever le doute sur ses intentions.

Les personnages secondaires, par leur passé, par leur connaissance de cet homme plein de contradictions qu’est Whitaker, par leur rapport à la vie, apportent des éclairages quant à la manière de percevoir la situation (en passant du pragmatisme, au légal ou carrément à la remise aux mains de Dieu ). Des rôles nombreux mais qui donnent à Flight cette richesse de lecture et cet intérêt. Pourtant, malgré des prestations impeccables à tous les niveaux (depuis Denzel Washington impeccable en passant par Kelly Reilly, toxico sur le chemin de la rédemption et guide éphémère de Whit sur la voie de la guérison, John Goodman en dealer un peu fou (le seul apport de quelques notes d’humour bienvenues) ou encore Don Cheadle, avocat pragmatique tiraillé entre sa méprise de l’homme alcoolique et le héros que Whiteman est par la force des choses), Flight pâti d’un manque d’émotion véritable et d’un non renouvellement des enjeux. Affichant près de 2h20 au compteur, la mécanique s’essouffle avant un dernier acte très orienté sur la procédure légale permettant malgré tout de conclure le film sur une note positive. Mais la tranche principale se focalisant sur Denzel Washington, sur l’homme dirigé par des démons qu’il ne peut combattre seul s’étend plus que de raison en vampirisant tout l’apport du premier acte (et déteint également sur le final). Un vrai regret que l’on explique pas vraiment tant film souffre de manière ostentatoire de cette baisse de régime. Avec un budget beaucoup plus réduit et un temps bien plus court (1h20), Smashed (vu à Deauville cette année) évoquait la même thématique de manière plus frontale et sans doute plus efficace.

Reste malgré tout que Flight est un drame de haut vol (sans jeu de mots) qui certes pâti d’un rythme en demi-teinte en milieu de parcours mais distille son lot de questions aux spectateurs avec talent. Avec 30 minutes en moins, le film aurait sans nul doute été plus fort, cela n’altère en rien la prestation fascinante d’alcoolique se mentant à lui-même portée par Denzel Washington , l’objet d’analyse le plus intéressant du long-métrage. Et si Flight n’est pas le film le plus « fin » de Zemeckis, il prouve encore une fois que le talent du réalisateur est resté intact pour orchestrer des grands moments de cinéma, marqués d’une tension et d’une puissance dramatique très au-dessus de la moyenne.
mcrucq
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le 10 janv. 2013

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Mathieu  CRUCQ

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