Gints Zilbalodis est un réalisateur letton qui fait partie de cette génération de réalisateurs, au même titre que Ryan Braun avec Absolute Denial, à s'être lancé à corps perdu dans la réalisation d'un long métrage d'animation seule. C'est une expérience que le réalisateur a voulue retranscrire dans son premier film, mettant en scène un personnage qui déambule seul dans une nature qu'il apprend à découvrir après un crash d'avion. C'est ainsi qu'il réalise le film Away, qui a rencontré un grand succès en festival, ramenant même le grand prix de la sélection Contrechamp au festival d'Annecy 2019, et qu'il a été introduit à d'autres professionnels du secteur qui l'ont encouragé dans cette voie. Le contact avec d'autres artistes lui a donnée envie de réaliser une œuvre qui retranscrit la nécessité de se connecter aux autres et à mener un projet à plusieurs. Ainsi naît Flow, un film qui ne m'a pas tant attiré sur le papier, de par sa nature contemplative et ses graphismes avec lesquels j'avais beaucoup de mal. Pourtant, en plus d'une sélection en compétition officielle au Festival d'Annecy 2024 (qui était plus que logique vu le passif du réalisateur avec le festival), le film est l'un des rares films à être sélectionné au festival de Cannes, en compétition Un Certain Regard (le dernier en date étant La fameuse invasion des ours en Sicile). On doit compter sur les doigts d'une main les films d'animation qui sont arrivés à se frayer un chemin vers la compétition cannoise (compétition officielle j'en parle même pas) et si la sélection 2024 du festival de Cannes a été particulièrement fourni en animation, seuls deux films sur les six ont réussi à arriver en compétition (selon les bruits de couloir cannois, le second est un film qui aurait été fortement aidé pour arriver là où il est, en plus d'être aidé par un casting très alléchant). L'attente était donc présente quant à ce film qui risquait d'être particulièrement pointu pour un critique cannois... et cela n'a pas loupé.


Flow est un film qui désarçonne et qui dérange dans le bon sens du terme. Dès ses premières images, qu'on dirait pris sur le vif, le film se veut dans une forme paradoxale entre un imaginaire vidéoludique et un naturalisme presque documentaire. On est troublé face à une 3D aux textures presque granuleuses (qu'on peut rapprocher au grain que peuvent rechercher des films live comme La Morsure de Romain de Saint-Blanquat ou bien Inexorable de Fabrice Du Welz), comme s'il n'y avait pas eu de texturing et que tout était dans une forme brute de l'animation. Cette direction artistique tranche avec une manière presque documentaire et naturaliste de filmer l'action, avec des plans très longs et simulant une caméra épaule. On suit ce chat sans trop comprendre où on va, où l'on doit aller, mais sans que l'on ressente le besoin d'en apprendre davantage. On est lentement fasciné par son parcours et par la fausse simplicité de ce qui nous aient donné de voir. Là où il habitait dans une maison immense dont il ne semble apprécier que le grenier, étant libre de se balader où il le souhaite, le chat solitaire est maintenant amené à se restreindre et à vivre sur une barque où qu'il ne peut quitter sous peine de finir à l'eau. Plus qu'une épopée grandiloquente et extravagante où l'on est invité à s'extasier sur tous les plans, ce sont avant tout les personnages resserrés dans un même bateau (littéralement) qui sont le centre d'attention. On reste autour d'une barque et on est focalisé sur les différentes personnalités qui font vivre ce bateau. Entre le chien joueur, le singe au caractère bien trempé aimant collectionner les objets brillants, ou même l'oiseau chef de navire, on est amené à faire attention aux détails minuscules qui construisent des histoires et des relations. Le film devient alors très touchant tant les relations qu'il met en scène sont d'une pureté absolue.


Le film construit ainsi tout une mythologie et tout un univers foisonnant de détails, avec des oiseaux immenses au comportement guerrier se rassemblent pour monter une sorte d'armée, ou même un gang de chiens au caractère un peu balourd et simple d'esprit. Cependant, à vouloir proposer un cinéma proche du documentaire et du cinéma-vérité, le film perturbe lorsqu'il met en scène des éléments paraissant trop humains dans un monde où l'homme a visiblement disparu. Si l'acting des animaux est d'une précision qui relève presque de l'exploit, il n'empêche que le dispositif rencontre ses limites quand le scénario essaye de construire des scènes voulant faire évoluer ses personnages en les confrontant avec des animaux hors de la barque, comme par exemple un équipage de lémuriens voleurs d'objets précieux qu'on peut facilement confondre avec des pirates. Je mentionnais une scène avec une armée d'oiseaux, au comportement viril, qui sont amenés à se confronter à l'oiseau à bord de la barque. Il y a un moment très fort et très efficace mais qui, dans la manière d'être amené, créé une trop grosse connexion avec l'Homme à travers un comportement de l'animal trop dirigé, créant des ressemblances avec des films de guerre contenant le même genre de scène. Fort heureusement, on peut excuser cela par un récit et une atmosphère planant et hypnotisante, où l'on suit un récit qui peut avoir autant d'interprétations que de spectateurs. Cela est à la fois sa plus grande beauté, offrant des moments d'étrangetés et de pure poésie, mais aussi sa plus grande faiblesse.


Comme dit précédemment, le film intervient après que le réalisateur, habitué aux expériences en solitaire, se soit entouré de professionnels de l'animation, et qu'il ait appris à travailler en équipe. Il est alors difficile de ne pas voir le parallèle entre la vie de ce chat et celle de son réalisateur. Pourtant, l'entièreté du film n'a pas l'air d'être construite autour de ce vécu, mais a été pensé pour habiller le récit dans un univers pouvant laisser libre cours à son imagination. La montée des eaux peut être le symbole de la pression qui monte et sur lequel le réalisateur doit naviguer sans couler, les différentes races animales peuvent représenter la diversité et le besoin de ne pas rejeter les extravagances de certains... On peut interpréter le sens du voyage de mille manières différentes, mais manque parfois d'un fil conducteur. L'acte en lui-même est singulier, mais à force de vouloir être un objet de curiosité ne fermant la porte à aucune interprétation, le film finit par être assez froid. On peut avoir plusieurs idées pour un même élément, comme les barques dans les arbres ou même la montée des eaux, mais il manque un liant avec le récit que vivent les personnages pour qu'on ait envie de réfléchir davantage sur les raisons qui ont poussé le réalisateur à réaliser le film tel qu'il est présenté. La forme documentaire, poussant à une lecture instantanée de l'information, n'aide en rien à passer le fait qu'au bout d'un moment on commence à comprendre la démarche du film qui se veut dans une simplicité extrême. Cela amène à désacraliser des scènes qui sont techniquement magnifiques, mais qui se retrouvent banalisées par une démarche trop proche du réel à la manière d'un Roi Lion photoréaliste.

Qu'est-ce-que la scène de fin mis à part un chat, un capybara, un lémurien et un labrador regardant une flaque à côté d'une baleine en train d'agoniser ? En interprétant, on peut voir la fin du voyage, une sorte de bilan réunissant ces animaux face à eux-mêmes, contrastant avec le début du film s'ouvrant sur un animal seul face à lui-même dans son reflet. Cependant, les indices et les détails sont tellement subtils et cryptiques tout le long du film qu'on a du mal à réellement ressentir la beauté de ce final. L'image est forte et le concept est très beau sur le papier, mais il manque un supplément de sentiments pour qu'on prenne pleinement conscience de la beauté de cette fin.

A cela s'ajoute le dispositif qui, dans sa démarche et sa durée, n'arrive pas à éviter quelques longueurs. Lorsque certains éléments n'arrivent pas à t'être porteur de sens ou que les actions sont répétées et sont trop similaires, il y a une redondance qui s'installe et qui plombe le visionnage.


Au final, Flow est une expérience d'une poésie folle, d'une délicatesse et d'une maitrise assez déconcertante, mais qui peine à m'emporter émotionnellement parlant. Dans un tout autre registre, le film me rappelle le vertige que peuvent procurer des réalisateurs comme Quentin Dupieux qui mettent en scène des univers marqués dans une démarche singulière, mais où le manque de sens fait que j'ai personnellement du mal à m'y accrocher. Cependant, contrairement à des films comme Réalité ou Fumer fait tousser, j'ai passé un très beau moment plein de tendresse. Peu être que je l'apprécierais moins en le revoyant, mais j'ai grandement envie de revoir le film et de revivre certains moments étranges qui sont d'une beauté fulgurante, et dont je sais que je pourrais les voir nulle part ailleurs.


13,25/20


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Youdidi
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le 22 mai 2024

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