Même si c’est indéniablement de bonne guerre pour attirer plus de public dans les salles de cinéma toujours à la peine depuis quelques années, sous-titrer Flow, le dernier petit miracle sorti des studios d’animation lettons, le chat qui n’avait plus peur de l’eau pour attirer un public familial est un contresens total par rapport au propos extrêmement noir du film de Gints Zilbalodis : il y a un risque non négligeable que les plus jeunes soient profondément effrayés par ce long combat contre la mort que livrent pendant une heure et demie le petit chat de l’affiche (avec ses grands yeux délicieux) et sa bande d’animaux hétéroclites. Quant à parler de « VF », c’est assez drôle puisqu’aucune parole humaine n’est jamais prononcée : « VA » pour version animale aurait été plus pertinent, non ?

Flow est donc un film qui enchante grâce à ses images régulièrement sublimes. Et qui confirme que le nouveau « look and feel » de l’animation moderne, lancé par le stupéfiant Spider-Man: Into the Spider-Verse il y a déjà plus de cinq ans, et qui inspire de plus en plus les studios à travers le monde (à quand le tour de Pixar ?) est la meilleure voie pour sortir de l’impasse de la 3D sans âme qui régnait sans partage depuis trop longtemps. Enchaînant des paysages merveilleux, éclairés par une lumière incroyable, Flow est aussi un prodige de mise en scène, transformant le spectateur qui lutte aux côtés du chat et de ses alliés improbables (un chien, un capybara, un lémurien et un grand échassier) en véritable acteur de cette fuite éperdue contre la montée des flots qui engloutissent une terre déjà délestée de la race humaine : on nage, on coule, on plonge, on grimpe, on court, on saute pendant une heure et demi, à bout de souffle, transi, terrorisé, exalté parfois. Flow est un film physiquement épuisant, en dépit de son rythme régulièrement contemplatif : l’ambiance visuelle et sonore immersive, où les images et les sons s’unissent pour créer une atmosphère de rêve, contraste avec le cauchemar intégral que vivent les protagonistes de ce drôle de conte de terreur. Car survivre à l’apocalypse ultime n’a rien d’un jeu !

Alors, on peut regretter qu’une partie de Flow sacrifie, assez inutilement, à l’anthropomorphisme, avec par exemple son capybara au gouvernail d’un bateau, et un message un peu trop consensuel pour le bien du film sur la nécessité de se comprendre les uns les autres, et de s’allier pour survivre face à l’apocalypse qui vient de se produire, et qui peut se répéter. C’est dommage, et finalement inutile car la justesse des comportements animaux (les chiens que le passage d’un lapin détourne de leur tâche, les lémuriens qui fétichisent les objets brillants, les oiseaux qui combattent pour le leadership du groupe, le chat qui est terrifié par l’eau mais sait parfaitement nager pour survivre…) est déjà un réservoir suffisant de fiction pour que nous n’ayons pas besoin de les regarder comme des versions « plus belles », « plus pures » de l’homme.

Et plutôt que le sauvetage des réfugiés dans le bateau juché sur un arbre qui risque de s’effondrer, nécessitant l’alliance de toutes les forces, qui a quelque chose de quasiment disneyen, la VERITE profonde du film se trouve bien plutôt dans ce dernier regard entre une baleine échouée et un chat qui sait que le cauchemar n’est pas fini : un moment sublime, qui met les larmes aux yeux. Tout comme le dernier plan avant le générique de fin, cette contemplation sans espoir des animaux dans le reflet de l’eau destructrice.

On peut rester jusqu’à la fin du générique, jusqu’à une toute dernière image qui nous est offerte et referme le couvercle du cercueil sur notre monde qui a bien mérité d’être englouti, non ?

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/11/03/flow-de-gints-zilbalodis-apocalypse-flots/

EricDebarnot
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