Esquisses d’esquif
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Écrire que ce film d'animation est indépassable serait se fermer la porte à de futures merveilles, mais je peux quand même affirmer sans peur de me tromper qu'on tient là un champion incontestable dans sa catégorie. Qui peut concourir également dans des tas d'autres, scénario, doublage, musique, pour ne rien dire des compétences techniques de ses concepteurs. Pour commencer, l'histoire ressemble à un épisode mythologique : une montée des eaux quasi biblique vient perturber la vie animale d'un petit paradis sur Terre. Un coin paradisiaque parce qu'étrangement débarrassé de toute présence humaine, et figé dans un été qu'on pourrait croire éternel. Quand les eaux montent, elles sont limpides, bien qu'implacables. Rien à voir avec ces torrents de boue que le dérèglement climatique nous apporte. Une submersion tranquille, dont la beauté cache mal la dangerosité, surtout quand on est un petit chat noir probablement assez jeune, et solitaire. Cette solitude n'est qu'apparente puisque, comme nous, le petit personnage vit dans un environnement grouillant de vie. Comme nous aussi, il n'y prête attention que quand cela représente un danger pour lui. Toute l'épopée qui va suivre vise à déconstruire sa sensation d'isolement, tout autant que l'impression de pouvoir se suffire à lui-même. Face au Déluge, il va se trouver des compagnons d'infortune, comme on dit abusivement, parce que le film vise à nous ouvrir les yeux sur ce point précis : quand on est balloté par les événements, on devrait se dire qu'on a la chance inouïe de sortir d'une zone de confort qui nous anesthésie. Evidemment, ça n'est pas de tout repos, mais le bénéfice à la clé vaut toute la tranquillité du monde. Au cours de ses tribulations, le petit animal craintif va devoir dépasser ses peurs les plus profondes, notamment celle de l'eau. Les scènes où il plonge désormais dans les ondes claires grouillantes de poissons aux couleurs démentes comptent parmi les plus belles. Les plus touchantes viennent de sa confrontation avec d'autres errants appartenant à des espèces inconnues de lui (et que je peine à identifier en bonne géraldine rurale que je suis...) ou jadis identifiées comme ennemies : une meute de chiens, un lémurien (du genre maki catta), un gros machin lymphatique (un capybara, j'ai vérifié) et une sorte de phénix immaculé (un messager sagittaire, apparemment). De cet attelage dépareillé va surgir une forme de reconnaissance inusitée, une collaboration inter-espèces fertile, qui va le mener vers des horizons parfois grandioses, sur une mer agitée ou dans des lagunes translucides. En fait, le vrai personnage principal, c'est l'eau, transcendée par des lumières glorieuses. Tout est beau. Tout. Le moindre copeau de bois emporté par des flots tranquilles, le moindre lichen humide sur des branches torturées, la moindre vaguelette étincelante va vous transporter de bonheur, c'est garanti. Sans compter que les dialogues cèdent ici la place à une narration factuelle édifiante, qui laisse le spectateur tirer seul ses propres conclusions. Quelle élégance ! Le chef de la meute de chien engloutit d'un coup tous les poissons réservés par le petit chat à ses nouveaux amis ? Vous y verrez l'illustration d'une organisation patriarcale du monde ou la simple application d'une hiérarchie naturelle, à vous de voir. Les faits sont là, et ils sont têtus, mais nous sommes tous libres d'en tirer les leçons pour lesquelles nous nous sentons prêts. Reste à applaudir chaudement l'observation fine du règne animal. N'importe quel humain ayant eu la chance de partager le quotidien d'un chat ou d'un chien pourra mesurer la qualité des tableaux qui nous sont donnés à voir : les étirements, bâillements, expressions faciales, attitudes corporelles, piaffements goulus ou gémissements apeurés sont d'une exactitude réjouissante. Chaque espèce est restituée dans sa précieuse unicité et la confrontation entre plusieurs d'entre elles donne lieu à des moments de grâce, qui pourraient éventuellement, si nous voulions bien descendre de notre Olympe, nous inspirer des parenthèses de tolérance dans une actualité marquée par la division et le conflit. En résumé, donc, un éblouissement visuel pour un conte édifiant, émouvant, palpitant, poétique, qui touche parfois au sublime tout en investissant les recoins les plus banals de notre environnement, de manière à rénover intégralement notre façon d'appréhender notre monde. Qui dit mieux ? Le grand champion de l'année, voire de la décennie, que je vous dis, un moment de grâce qui donne envie de considérer notre vie comme une chance, une vraie thérapie.
Créée
le 25 janv. 2025
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