« 11:55, almost midnight. Enough time for one more story. One more story before 12:00, just to keep us warm. » Poursuivons cette petite épopée dans la filmographie de John Carpenter ! Notamment pour des raisons logistiques, je me permets de poursuivre le cheminement un peu dans le désordre, mais je mets un point d’honneur à respecter mon engagement qui est faire le tour de toute la filmographie de Carpenter réalisée pour le cinéma. Ceci étant dit, attardons-nous aujourd’hui sur l’un de ses films qui n’est pas forcément le plus connu, mais qui m’a, personnellement, beaucoup marqué. Situé entre Halloween et New York 1997, deux piliers de la filmographie de Carpenter, s’immisce un brouillard meurtrier, Fog.
Au tournant de la décennie, John Carpenter a su se tailler une solide réputation, fort des succès d’Assaut (1976) et, surtout, d’Halloween (1979). Extrêmement prolifique à ce moment de sa carrière, il réalise Fog en 1980, avec un budget très maigre, mais la débrouillardise de Carpenter va encore faire des miracles. Celui qui venait tout juste de signer un classique de l’horreur poursuit dans un genre qui lui sied parfaitement. Car Fog est un film dont le scénario contient tous les ingrédients pour un bon film à la sauce Carpenter. Ce qui est intéressant dans le cas de celui-ci, c’est qu’une nouvelle fois, « Big John » a des moyens restreints, mais il veut un résultat de qualité. Par exemple, il choisit de tourner son film en 2,35:1, un procédé plus coûteux que les procédés habituels, mais permettant à son film d’arborer une meilleure qualité visuelle. Le nouveau jeune prodige de l’horreur est de nouveau prêt à nous faire trembler.
Et il faut avouer que Carpenter s’y prend à merveille. En partant de ce prologue où un vieux marin raconte une vieille légende sordide à des enfants captivés, le cinéaste crée une ambiance empreinte de mysticisme, entourant son film de mystère, et nous nous incarnons dans la peau de ces enfants fascinés et friands d’histoires fantastiques. En mordant à l’hameçon, nous devenons ainsi le public idéal pour l’histoire que nous allons suivre. Car Fog est principalement un film d’ambiance, misant sur ses décors, les sons, la lumière et les images en les exploitant au maximum pour susciter chez le spectateur diverses émotions.
Tout d’abord, ce choix d’une ville en bord de mer donne l’impression d’être au bout du monde, isolé, où l’océan s’étend à perte de vue, une immensité aussi merveilleuse qu’elle peut être terrifiante. La radio nous accompagne lors des virées nocturnes, seul lien avec la civilisation lorsque la solitude nous isole dans le noir. Le phare est la vigie, où l’animatrice radio observe, seule, ce brouillard mystérieux qui se diffuse, sa lumière balaie la baie, pendant que les sons du phare continuent à se faire entendre lorsque le brouillard investit la ville. C’est un des points les mieux réussis dans Fog, car tous les éléments récurrents du film sont présents en permanence et utilisés afin de développer cette ambiance terrifiante et sinistre. On est parfois seul et isolé, mais il y a toujours moyen de se raccrocher à autre chose, à un signe de vie, ce qui renforce, paradoxalement, le sentiment d’isolement et d’impuissance.
Evidemment, le choix du brouillard comme « monstre » du film est aussi tout à fait judicieux. Diffus, mobile, opaque, il isole ses proies, il empêche de voir, et cache en lui des ombres meurtrières. On ne peut l’arrêter, on ne peut le chasser. Et ce qui n’est qu’un phénomène naturel devient ici un phénomène paranormal. Ici, le jugement de l’humanité se fait à rebours, et non de manière immédiate. Les méfaits sont anciens, mais ont provoqué une malédiction, et c’est donc un fardeau que doit porter la ville, destinée à être victime de la vengeance d’anciennes victimes de la cupidité des hommes. Carpenter empêtre ses protagonistes dans un cercle vicieux où les monstres étaient auparavant des innocents, transformés en monstres par des présumés innocents qui étaient eux-même, finalement, des monstres.
La cruauté ne provient donc pas tant de ces morts-vivants qui viennent rendre justice, que de ceux qui ont profité d’eux pour prospérer et faire soi-disant preuve de charité. Fog est, d’ailleurs, l’un des premiers films de John Carpenter à faire intervenir l’Eglise, notamment à travers le personnage du père Malone. Et, comme souvent, elle n’est pas présentée à son avantage, entre l’alcoolisme du prêtre et le fait que la fondation de l’Eglise ait été financée par le trésor pillé dans l’épave des victimes cent ans auparavant. C’est une autre manière pour Carpenter d’exposer la faiblesse des hommes par le prisme d’une institution religieuse prônant une charité parfois hypocrite et cupide, toujours dans cette volonté de mettre l’Homme face à ses propres dérives, ce qu’il a fait tout au long de sa filmographie.
Fog est, à mes yeux, un des films de John Carpenter les plus réussis et les plus prenants. Le cinéaste poursuit sur sa lancée, continuant à affirmer l’identité de son cinéma, à travers les images, mais aussi son casting, qui reprend des acteurs et actrices étant déjà intervenus dans ses films précédents, comme Jamie Lee Curtis et Nancy Kyes, sans oublier la présence au casting de Janet Leigh, restée dans la légende pour le Psychose d’Alfred Hitchcock. De cette manière, Carpenter parvient, en quelque sorte, à créer un univers particulier autour de ses films, pour ne pas en faire que des histoires distinctes les unes des autres, mais bien les composantes d’un ensemble plus grand. Parfait film d’ambiance, Fog est complètement estampillé de l’empreinte du cinéaste, qui ne réalise peut-être pas ici son film le plus célèbre, mes à mes yeux l’un de ses plus caractéristiques et l’un de ses plus réussis.