Résumé : cent ans après le naufrage d'un bateau, une étrange brume se lève sur une petite vile côtière. La mort l'accompagne…
La beauté plastique de ce film n'a d'égale que son minimalisme terrifiant. Des plans larges océaniques sublimes, une brume hypnotique teintée de bleu pour le monde des ténèbres envahissant les teintes chaudes du monde des hommes ; des objets qui bougent tout seul ou se fracassent, des ombres monstrueuses armées de crochets ; une musique rare, composée par Carpenter lui-même au synthé comme à son habitude (souvenez-vous du thème simplissimement efficace d'Halloween la nuit des masques), qui sait se taire pour laisser parler l'image où avance implacablement et silencieusement le danger (bon pied de nez aux violons soûlant sensés rendre plus flippant l'avancé d'un couloir ou les jump scare !) ; voilà tous les ingrédients d'un film redoutable avec trois fois rien. Ce film d'épouvante commence par un conte devant les yeux friands d'enfants/spectateurs que nous sommes, éloge du pouvoir de suggestion, et se poursuit en cauchemar rampant. Le brouillard, beauté glaciale dont on ne se lasse pas des volutes, y est un véritable être organique, maléfique, qui possède une âme. Les personnages évitent assez l'écueil des clichés : pas de héros en vedette, mais différentes vies qui se croisent dans la tourmente. Carpenter s'en souci moins que de son ambiance visuelle, et c'est une bonne chose : le film ne s’appesantit pas inutilement. Insistons là-dessus, le "trois fois rien" est efficace et surtout génial : les fantômes se déchainent sur la ville, entités réels et terriblement dangereuses sans complexité aucune, trente ans avant les attrape-nigauds Paranormal Activity et trente fois moins ennuyeux en dépit du rythme modéré des eighties, que j'aime tant. Car The Fog n'est pas un huis clos : Carpenter voit grand dans ses plans, et les fantômes attaquent la villes comme une horde de casseurs invisibles qu'on ne pourrait arrêter. La peur n'est donc pas purement claustrophobique - même si les griffes du brouillard enserrent les personnages comme un étau cadavérique - : c'est celle d'une puissance invincible, insoutenable, qui s'abat massivement (et le film aurait peut-être pu aller encore bien plus loin dans l'idée, ce sera mon seul reproche) sur une ville dont elle réclame vengeance : c'est la Main de Dieu ; c'est la peur de notre impuissance face à l'invisible. Celle de tout enfant devant le gouffre noir de son placard ou de dessous son lit où il croit se terrer la Bête.
Cette idée - l'ennemi invisible tuant tout sur son passage - est tellement excellente que ce n'est que, à mon avis, parce que Poltergeist de Spielberg à eu un succès énorme avec son huis clos fantomatique familial que je suppose que la formule de Carpenter n'a pas été reprise, et qu'on nous ressert inlassablement encore au XXIe siècle les mêmes ingrédients de la soupe du genre The Grudge, Sinister, Dark Skies, Insidious, The conjuring... Tout compte fait, The Fog est l'extension de la fin de la nouvelle Le Horla de Maupassant : que se passerait-il si des créatures invisibles et invincibles s'abattaient sur nous tous, nous massacrant impitoyablement, nous, pauvres créatures totalement impuissantes ? Idées intéressante et terrifiante très peu reprise - on peut citer le film d'extraterrestre The Darkest Hour, qui malheureusement ne parvient pas à distiller une tension continue en se plongeant dans l'action apocalyptique. The Mist de Stephen King adapté à l'écran reprend aussi l'idée, mais les créatures lovecraftiennes se concrétisent trop pour assurer une tension maximale, proposant alors davantage du grand spectacle - ce qui est aussi réjouissant, dans un autre genre (pour les frissons on préférera la nouvelle).
The Fog a fait l'objet d'un remake en 2006. Catastrophique. Celui-ci plonge la tête la première dans tous les clichés du genre dès la première minute (jump scare prévisibles et musiques dramatiques inutiles). Le héros beau gosse, le black marrant, les histoires de cœur inutiles, les bimbos décérébrées, les flash back avec (z)héroïne qui fait des rêves : rien ne nous sera épargné pour ne pas déboussoler l'adolescent médiocre visiblement cible de ce remake piteux du XXIe siècle. Et le pire de tout : le brouillard, qui donne son titre au film, à présent en images de synthèse sorties tout droit d'un jeu de Playstation, est plus mal fait que celui de Carpenter trente ans avant… Nouvelle victoire donc par K.O. des bonnes vieilles méthodes sur la 3D. L'idée géniale de l'original (les fantômes n'ont pas forcément besoin de se montrer pour tuer) est annihilée par le remake qui nous les montre à tout bout de champ, zombis transparents sortis d'un train de foire. De plus, là où la simple VUE du brouillard était automatiquement présage de mort chez Carpenter, qui le faisait donc avancer lentement et implacablement, ici les protagonistes s'y ballade en toute tranquillité et l'angoisse est complètement désamorcée, n'étant vainement tentée que par une musique dramatique insupportable. Il faudrait rappeler à bon nombre de réalisateurs contemporains ce principe ÉVIDENT que le cinéma est d'abord IMAGES, et qu'essayer de nous faire peur seulement avec de la musique pendant tout le film, tandis qu'il ne se passe rien à l'écran, c'est se foutre de notre gueule et faire preuve d'une paresse abyssale. Pour comparer, une scène de l'original se déroulant à la morgue évite la musique au moment de l'événement surnaturel (si ce n'est une seule note de synthétiseur, très basse, qui s'étend doucement) : on retient son souffle. La même scène du remake nous assène une musique brusque et idiote dans un jump scare hyper prévisible, raté d'avance. Reste juste la présence de Selma Blair dont je suis amoureux depuis Hellboy, mais ça ne justifie pas un film. Le critique qui écrivait "remake effrayant comme un brumisateur" n'avait pas tort. Quand la toute fin de Carpenter était épique, celle du remake ne se retient pas de finir sur un cliché vu et revu. Si je me suis étendu sur ce navet, qui n'en mérite pas tant, vous l'aurez compris, c'est pour mieux mettre en valeur le premier.
Je vous invite donc à découvrir l'original. Même si trente-trois ans sont passés et se lisent bien dans les vêtements et coupes de cheveux de ses personnages 80', The Fog de Carpenter est un petit bijou d'un maitre du genre qu'il serait dommage de perdre à tout jamais dans les brumes épaisses du cinéma d'épouvante.