Aujourd'hui que la carrière cinématographique de Big John doit malheureusement être considérée comme terminée (il lui reste encore sa musique…), on peut prendre un peu de recul pour mettre tous ses films - les meilleurs comme les moins bons, et il y en a pas mal - en perspective d'un talent considérable de metteur en scène. Alors, où situer "The Fog", petit film pensé de manière très opportuniste pour répéter si possible le succès surprise de "Halloween" ? On a d'abord une histoire de fantômes efficace (on doit avouer que, à sa sortie, ce film nous avait fait peur, même si aujourd'hui le public blasé aura peut-être du mal à nous croire !) mais quand même pas très inventive, ce qui donne un film nettement moins innovateur que les deux précédentes réussites de Carpenter : oui, à l'époque, les fans du jeune maître du fantastique en devenir avaient quand même été déçus.
Il y a pourtant ici une introduction magnifique, une bonne vingtaine de minutes qui constituent une nouvelle preuve du génie d'un réalisateur qui se veut disciple des artisans de la série B d'antan : Carpenter sait qu'il faut avant tout, pour faire un bon film fantastique, instaurer une véritable atmosphère à l'aide d'éléments aussi ténus que le vent, la nuit ou le brouillard (sans même parler de la redoutable introduction autour du feu de camp, qui plante le contexte et construit l'ambiance de manière imparable), et ensuite permettre l'identification du spectateur à des personnages simples mais crédibles, dessinés en quelques plans et encore moins de répliques. Ce qu'il fait dans "The Fog" avec une habileté redoutable, nous offrant une expérience de spectateur superbe, mais aussi une nouvelle leçon de mise en scène.
C'est ensuite que le film se gâte, et fait du surplace, surtout du fait d'un scénario vraiment pas passionnant, et de quelques scènes poussives, jusqu'à une conclusion qui décline sans trop d'imagination non plus les nouvelles règles du slasher, y compris le sursaut final jouissif - beaucoup trop imité / copié depuis.
Malgré tout, "The Fog" a suffisamment de qualités pour assurer sa place dans l'Histoire : le sous-texte politique qui deviendra de plus en plus important chez Carpenter (ici la réalisation que l'Amérique a été bâtie sur le crime, l'hypocrisie et l'avidité), le brouillard lumineux qui envahit régulièrement l'écran comme métaphore de l'essence du "fantastique" (cet état intermédiaire entre le visible et l'invisible), tout en représentant une sorte de mauvaise conscience de la collectivité, qu'il débarrassera des vilains secrets que ses membres n'ont pas eu le courage de découvrir par eux-mêmes. Et dans la version restaurée qui nous est proposée aujourd'hui, de nombreux plans splendides en scope, grâce à la photogénie étonnante des lieux (le phare de Point Reyes, la petite ville de Bodega Bay), et une musique - composée par Carpenter, bien sûr - comme toujours remarquable.
Terminons cet hommage à un film trop sous-estimé par une célébration émue des trois actrices magnifiques qui nous enchantèrent à l'époque et nous ravissent toujours : Adrienne Barbeau, Jamie Lee Curtis (bien plus "femme" que dans "Halloween" !) et Janet Leigh, sa mère, toujours aussi belle. Le fait que le casting masculin soit quant à lui assez médiocre ne fait que mettre en valeur le talent et la beauté de ce trio magique.
[Critique écrite en 2018, à partir de notes prises en 1980 et en 1984]