Dans la ville de Savannah, en Géorgie, un homme, Forrest Gump (Tom Hanks) attend le bus. Simple d’esprit, il se met à raconter son histoire à ses voisins de banc successifs. A travers son récit, c’est l’histoire des Etats-Unis qui se dessine en creux, une histoire que Gump n’a jamais vraiment compris, mais dont il a été un des principaux acteurs, sans s’en rendre compte…
Mettre en scène un film dont le personnage principal est un simple d’esprit était un pari pour le moins risqué. Mais Zemeckis a su mettre toutes les chances de son côté en donnant ce rôle délicat à l’immense Tom Hanks, qui parvient par son jeu tout en finesse, à rendre incroyablement attachant l’imbécile né qu’il incarne. Car en effet, au fil des pérégrinations de Forrest Gump et de sa manière de les raconter, on change peu à peu notre vision du personnage, et l’on finit par se demander si la folie n’est finalement pas bien plus dans le monde qui l’entoure que dans l’esprit de cet homme égaré.
A l’image du trop célèbre Candide de Voltaire (mais en mille fois plus réussi), Forrest Gump nous propose le portrait d’une société entière à travers les yeux d’un ingénu, et le procédé réussit admirablement. D’autant que les magiciens d’ILM, société responsable des effets spéciaux du film, s’amusent à intégrer Tom Hanks dans de réelles images d’archive, ce qui donne au film un délicieux parfum d’authenticité et une efficacité redoutable, en mêlant très intelligemment l’histoire d’un pays tout entier et le destin d’une seule personne, qui se recroisent constamment.
Car finalement, par certains aspects de sa personnalité, ce sont les Etats-Unis eux-mêmes que Forrest incarne. Si Forrest et Jenny, en tant que personnages, nous font vivre une attachante histoire d’amour, en tant qu’allégories, ils nous permettent de réfléchir intelligemment sur le pays qui est le leur. De fait, comment ne pas voir dans cet homme qui court droit devant lui sans but défini, dans cet homme incapable de prendre le moindre recul sur ses actions et sur celles de son entourage, un reflet de la politique des Etats-Unis ? Comment ne pas voir dans la désorientation de l’influençable Jenny, et son constant ballottement entre les différents mouvements de contestation qui agitent le pays, une image de la société américaine ?
Ainsi, malgré d’inévitables baisses de régimes dans ce film un peu trop long, Robert Zemeckis nous offre une satire parfois déguisée mais souvent juste d’un pays déchiré par la violence et la ségrégation dans lequel tous les hommes ont perdus leurs repères, allant jusqu’à suivre l’exemple du plus idiot de leurs concitoyens sans savoir pourquoi. Ce portrait pourrait faire froid dans le dos, mais il est heureusement compensé par l’étonnante autant qu’émouvante odyssée humaine dont Forrest est le héros involontaire, un héros dont la naïveté, l’innocence et la pureté d’âme rendent supportables les aberrations qu’il traverse et auxquelles on assiste. Un héros ballotté au gré de l’Histoire comme une plume dans le vent, mais qui conserve envers et contre tout son innocence comme la plume conserve sa beauté.