Remarqué grâce à ses deux premiers films, "Truman Capote" et l'excellent "Moneyball", le cinéaste Bennett Miller s'inspire cette fois d'un sordide fait divers survenu au milieu des années 90, avec pour toile de fond le milieu de la lutte.

Conservant volontairement certaines zones d'ombre, Bennett Miller déroule dans un premier temps un récit classique, s'attachant principalement à décrire deux milieux à première vue différents. Guettant la machine à Oscars, le film socio-sportif qui a fait ses preuves depuis le premier "Rocky", le spectateur se laisse finalement prendre au jeu, grâce à une mise en scène pudique, à une photographie automnale absolument magnifique et à la description efficace d'un sport encore peu illustré au cinéma.

Puis au moment où l'on craint une vilaine stagnation, le film de Miller prend une autre tournure, s'oriente vers une nouvelle direction certes attendue, mais diablement intrigante. "Foxcatcher" puise effectivement toute sa puissance dans la relation toxique et ambigüe de ces personnages, notamment dans le rapport forcément biaisé entre un riche philanthrope légèrement paranoïaque et un ancien médaillé d'or vivant constamment dans l'ombre de son frère aîné.

D'abord troublant, "Foxcatcher" fini par devenir carrément dérangeant, Bennett Miller esquissant le portrait fascinant d'un vieux garçon à la limite de la schizophrénie, touche-à-tout contrarié achetant son entourage et chacune de ses réussites grâce à l'immense fortune d'une mère castratrice dont il cherchera inlassablement l'approbation.

Dans ce rôle casse-gueule, le comédien Steve Carrell explose son image et prouve magistralement que le registre dramatique lui va parfaitement (remember "Little Miss Sunshine"), sa composition allant bien au-delà du simple grimage. Il est tour à tour flippant, pitoyable, voir même émouvant. Face à lui, la masse impressionnante et les expressions limitées de Channing Tatum sont pour une fois utilisés à bon escient, l'acteur n'ayant pas été aussi juste depuis le superbe "A guide to recognizing your saints". De son côté, l'excellent Mark Ruffallo transcende un rôle à priori ingrat et parvient à faire exister son personnage de frère / mentor / rival avec une certaine force tranquille.

Abordant ses personnages complexes comme des figures animales, par le biais de leur gestuelle et de leur faciès (Carrell l'aigle, Tatum le gorille et Ruffallo le vieux singe), Bennett Miller signe un film étrange et inconfortable, une violente lutte des classes à l'issue dramatique, voyant une fois encore une classe moyenne littéralement consumée par la puissance et les névroses des élites. Une réussite couronnée par le Prix de la mise en scène à Cannes et attendue aux Oscars (Carrell devrait choper sans problème sa statuette) qui doit beaucoup à son écriture et au talent de ses comédiens.
Gand-Alf
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le 22 janv. 2015

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