Après s’être introduit dans la mécanique presque quantique des statistiques du baseball, Bennett Miller retrouve l’analyse parcellaire d’un sport ; cette fois ci, avec une discipline inférieure si l’on en suit la mère de John du Pont. La lutte ; sport d’hommes consciencieux de leur corps, sculptés comme des dieux, quitte à voir leurs esprits s’étoiler au contact des coups et des chutes. Dans Foxcatcher, la lutte n’est qu’un contexte, une mise en abime de deux hommes laissés pour compte dans un immense manoir à la violence insidieuse. Car sous les traits d’une Amérique froide et impatiente d’une réussite miséreuse, le réalisateur américain préfère poser son regard sur ces orphelins d’un pays qui rêve d’une famille aimante, cette histoire d’amitié construite et détruite par les mêmes raisons : l’ambition de la vie et la fausseté de l’honneur.
Bennet Miller rend Foxcatcher impressionnant de maitrise par son humilité et sa capacité à détourner la force centrifuge de son film. Brut de décoffrage, lent et distant, l’œuvre s’appuie autour d’une puissance induite d’un marbre presque incassable: longs plans silencieux incroyablement photographiés ; prestations rigides et féroces de Steve Carrel et Chaning Tatum ; pour au final créer un malaise permanent, une haine toute en retenue. Mark Schultz, un champion olympique voulant s’émanciper de son propre frère, vivant dans le déni de sa propre patrie, s’entrainant dans des conditions pauvres et strictes, payé à faire des petites interventions auprès des écoles va croiser la route d’un riche mécène suffocant avec le mépris de sa propre mère. Un banal commencement, qui dit tout.
C’est alors que le réalisateur retrace une Amérique opportune, prête à tout, même à se mentir à elle-même à l’image de ces séances d’entrainement ou de combat complétement mensongères pour rallier la cause maladive de John du Pont. Encore une fois, le sport n’est qu’un mirage, une apparence presque incestueuse, poursuivant cette évidence de la complicité imaginée entre deux hommes. Foxcatcher, c’est l’ironie du sort, la froideur du destin, un prophète clownesque sous cocaïne qui modeler son singe savant, une sorte de remodelage du Dr Frankenstein et de sa créature. Puis cette amitié, aux allures ambiguës, sous l’égide d’une confiance sans faille et d’une indépendance acquise, prendra un chemin de traverse déliquescent quand le frère de Mark Schultz rejoindra le camp d’entrainement. Une trahison inéluctable.
Dans l’immensité de ce camp d’entrainement prenant le visage d’un camp quasi militaire préparant une guerre autoritariste contre son propre pays, Bennet Miller, par la précision et la longueur de ses cadres, épaissit son récit, isole aux mieux les âmes en dérive quand leurs corps ne s’expriment pas. Malgré la répétition de certaines séquences d’entrainement qui demandent une automatisation de la psyché presque animale, Foxcatcher, est loin d’un Whiplash; le rapprochement avec The Master de PTA est plus évident dans cette démarche qui veut faire avancer ses pions comme des marionnettes disloquées où l’austérité du cadre déchiffre habillement les fissures d’une volonté de reconnaissance conjointe, à l’issue sombre et inévitable.