''Ornithologist, philatelist, philantropist''. Comme une ode à sa gloire, le milliardaire d'origine française John du Pont fait répéter inlassablement les adjectifs illustres le concernant à son pupille. Le lutteur Mark Schultz s’exécute avant que son nouveau coach ne l'exhibe dans une de ses soirées mondaines. Un simple coup de fil a suffi à l'extravagant propriétaire de Foxcatcher pour faire venir le champion du monde de lutte gréco-romaine dans son domaine. John du Pont promet la lune à Mark Schultz, en échange d'une médaille olympique qu'il aimerait ajouter à sa salle de trophée puant la fierté. ''Pourquoi est-ce qu'il fait tout ça ?'' se demandait déjà, suspicieux, le frère Schultz. Une question, et le fil rouge du film.
À l'image de son immense propriété, John du Pont vit sur une autre planète. Il n'y a guère que ses coupes pour donner un semblant de fierté à ce milliardaire, animal asocial élevé par une mère étouffante sans aucune considération pour son fils. Mais c'est lorsque celle-ci décède que du Pont devient incontrôlable. Il se voit comme un père pour son équipe, mais c'est lui l'enfant qu'on laisse gagner pour lui donner un semblant de gloire. Son autorité n'a d'égal que sa fortune. Lorsqu'il réalise que son charisme ne peut rien face à celui fraternel de Dave Schultz, il ne peut le supporter, et commet l'irréparable.
Après avoir réussi à nous intéresser au base-ball, Bennett Miller nous emporte dans le monde de la lutte gréco-romaine. Un sport qui n'intéresse personne et qui apporte du cachet à la personnalité trouble de John du Pont. A parti d'un fait divers, encore, le réalisateur américain réalise une étude psychologique passionnante alimentée par une mise en scène de génie. Entre le grand frère et celui qui a besoin de se donner de l'importance, le perturbé Mark Schultz entre dans un engrenage qui va l’anéantir. Le destin broyé par la mainmise psychologique d'un enfant pourri gâté sur un jeune sportif manipulé, le destin providentiel de Foxcatcher.
Bennett Miller sait jouer avec brio sur la complexité de la relation entre deux hommes. Comme une gifle dans un film d'Ozu, celle de du Pont à Schultz est d'une violence inattendue, paroxysme et point d'inflexion du film. Avec trois personnages passionnants incarnés par un trio d'acteurs phénoménal, le fait divers prend une ampleur considérable soutenue par la mise en scène d'un grand cinéaste. Foxcatcher est le bijou de ce début d'année.