" Ce qui te bouffe à l'intérieur "
Fracture est un titre qui sied si bien à ce film. Oui, la fracture irréversible, celle qui emprisonne la main de Lakdar et qui empoisonne sa vie mais surtout celle qui isole la banlieue de Certigny du reste du monde. Oui, ici la fracture se sent dans tous les plans, dans toutes les têtes. Mais la fracture se fait surtout chez Anne, servie avec talent et grâce par Anaîs Demoustier. Ici, le jeune professeur n'est jamais dépeinte ni naïve, ni angélique. Sans à priori, elle est là lâche tout autant que combative. Face à la fracture qui se dessine entre ses élèves et une France dont ils font partie mais qu'ils rejettent parce qu'ils s'y sentent rejetés. C'est une haine contre leur pays qu'ils développent. une haine rampante, tenace. Une haine attisée par des conflits religieux, des chocs symboliques mais hautement embrasant. A l'image du frère de Lakdar qui comprend tout à l'extrême. La religion devient alors une scission totale entre les êtres. Ce qui contribue à faire se rencontrer deux mondes, sans caricature. Anne est juive mais pas vraiment pratiquante mais surtout elle garde ça au fond de son coeur. C'est une leçon sur l'Union Européenne qui viendra tout faire s'embraser. Dès lors, rejetée à son tour, Anne est brisée par l'échec tout autant que galvanisée par son envie d'essayer. Mais c'est au coeur de l'incompréhension qu'elle flanche et retourne toute son amertume envers des élèves auxquels elle a l'impression de ne rien pouvoir apprendre.
Dès lors le film se tourne vers une réflexion sur la haine. Oui, cette haine jamais dirigée vers les bonnes personnes. Mais rien n'étonne le père d'Anne, qui cite Hugo avec lucidité, cette révolte de ceux qui, à tort peut-être, se sentent opprimés lui parait naturelle et inévitable. La fatalité se lit jusque sur les visages des profs, de ceux qui quittent le navire, à ceux qui essayent en passant par ceux qui rejettent. La haine est donc mal dirigée parce qu'elle se tourne dans un espace qui ne résout rien. Dès lors, les professeurs finissent par haïr leurs élèves, une fois à bout de course. Les élèves maltraitent leurs profs. Et surtout, quand les cités s'embrasent, ce sont leurs propres bâtiments qu’elles détruisent. Alors que le cri de révolte devrait s'envoler plus loin, il se cantonne à la cité. Et là est tout le problème. pas d'ouverture au monde possible. Pas de dialogue, de la contestation. Et cette violence verbale, physique et morale qui est constance, latente, insupportable aussi. A l'image d'un enfermement cyclique comme Moussa le colosse qui ploie sous cet aveuglement complet. Une insulte suffit à l'embraser tout comme un mort suffira à embraser les cités.
Le monde est alors là mais comme invisible "j'men fous du monde moi, j'suis dans la merde à Certigny". Et, même l'Histoire n'apprend plus rien? Car, politiquement tout se complique, même parler du président est impossible. On ferme tout, surtout les frontières de la découverte. Ainsi, quand un professeur propose à Anne de faire un échange avec des enfants palestiniens, elle refuse tout autant parce que la flamme est trop proche de la mèche mais aussi par ses croyances. Le téléfilm sonne comme un aveu de faiblesse qui fait peur. Tout part à la catastrophe. Et c'est une brûlure constance au creux du ventre qui s’agrandit et que rien n'arrête. C'est de front, avec un goût amer et tenace qui reste en bouche. Mais surtout, si le film est puissant et va au cœur de son sujet, des fêlures de chacun sans juger pour autant, il se casse la gueule dans ses 15 dernières minutes basculant dans un genre qu'il maîtrise moins. Et c'est tout autant le désespoir qui demeure que l'espoir des derniers mots d'Anne, qui n'abandonne pas le navire. Un film qui aurait donc pu être grand s'il n'avait pas basculer à la fin, cherchant à tout prix une indication pour se perdre. Le désespoir est tenace et la fracture si immense qu'elle donne encore plus envie d'y croire finalement bien qu'elle nous donne l'impression que tout est irréparable.