Fragments d’un parcours amoureux ou la danse de l’archive de Chloé Barreau

Pendant plus de trente ans, entre Rome et Paris, Chloé Barreau écrit, photographie, filme sans relâche sa vie amoureuse, « une vie sous attentat d’amour » faite d’urgences, d’élans, d’ivresses et de mensonges, de passions et de souvenirs en germination, cette vie intime profondément romanesque est le cœur du nouveau documentaire de la cinéaste, Fragments d’un parcours amoureux, présenté à la 20eme édition des Giornate degli Autori dans la section Nuits Vénitiennes.


Roland Barthes par la délicatesse et la finesse d’analyse de ces Fragments d’un discours amoureux est tout près de la tonalité du film. C’est donc très beau le glissement furtif opéré dans le titre du « discours » au « parcours ». Avec le film de Chloé Barreau nous sommes résolument sous aura Barthésienne par la réflexion sur l’amour, la vie, la construction ou l’invention de nos mémoires qui sous-tend de part en part ces Fragments d’un parcours amoureux.


La Vita Nova

A la fin de sa vie Barthes avait un grand projet de roman, La Vita nova, laissée inachevée par sa mort. « Cette vie nouvelle permet de saisir une forme essentielle du lien qui unit la vie et l’écriture, car ces nouvelles vies sont toujours des naissances de nouvelles écritures, qui refondent en profondeur le genre dans lequel elles s’inscrivent. » De même c’est comme si Chloé Barreau s’était attelée depuis l’adolescence à ce projet des Fragments d’un parcours amoureux, comme si l’amoureuse fiévreuse qu’elle est, lui avait fait pressentir que ce serait d’évidence cela son parcours, son devenir singulier : Faire œuvre de sa vie ! Comme si elle aimait et n’était aimée que pour retenir ses traces, témoigner d’une existence. Comme s’il n’y avait pas d’autre vie que l’amour-image, pas d’autre amour que la vie filmée pour renaître perpétuellement dans sa vie nouvelle.


Ce qu’il y a de plus vertigineux dans son film c’est dès lors ce matériau prodigieux, la matrice de sa mémoire amoureuse filmée, cette singularité (« manie de tout filmer, dit l’une de ses ex) ou volonté de s’inscrire déjà à 16 ans dans une autobiographie en images de sa vie.


Puis ce qu’elle décide d’en faire : interroger la mémoire des témoins et acteurs de sa vie amoureuse pour reconstituer sa/leur mémoire. Cette fermeté et prescience où la volonté créative de la cinéaste innerve l’existence fait écho à l’œuvre de Sophie Calle avec laquelle à bien des égards le travail sur l’archive de Chloé Barreau entre en résonance.


L’Archive mobile et inventive

Chez Sophie Calle comme dans « Fragments d’un parcours amoureux », l’archive est vitale, romanesque, danse, mobile, projetée dans l’avenir. De même ici. « La danse de cette femme dans une telle intensité dramatique » donne à ré-interroger la chronologie de nos vies en « chronologies amoureuses ». En ce sens Anna Mouglalis, une des amantes de la réalisatrice, propose au spectateur une intrigante manière de percevoir le film : » -J’ai décidé, dit-elle d’appréhender ma mémoire comme mon imaginaire. On s’invente son passé ». Cette phrase est une lecture passionnante parmi d’autres qui ouvre encore davantage le geste du film.


Quelle mémoire avons-nous au juste de ce que nous avons vécu? De nos amours passés? Même en allant interroger les autres, ce qui est la démarche ici de Chloé Barreau, qu’est-ce qui nous garantit d’une vérité, que cela a eu lieu ? Lorsque les amours ont disparu, ont été remplacés, que les trajectoires se sont perdues de vue sans s’être oubliées, que devient-on dans la mémoire de nos amours de vingt ans, trente ans ? Eux, elles nos amoureux, nos amants, nos amantes qu’ont-elles à dire de notre désir, peuvent-elles témoigner, nous authentifier ?


L’ensemble n’est-il pas au fond (hormis les personnes vivantes, témoignant et pas des moindres ici, puisque nous y retrouvons la cinéaste Rebecca Zlotowski, l’actrice Anna Mouglalis et l’écrivaine Anne Bérest entre autres) fictionné et réinventé au présent par le désir du souvenir? Et il n’est pas banal bien sûr ici que parmi les aimées de Chloé Barreau, nous retrouvions tel un événement magique et assumé du désir et du destin: des femmes cinéaste, actrice, romancière. Ainsi donc l’amour est écriture et cinéma, et le cinéma est la vie même.


Ce sont autant de questions et de voies que soulèvent ce documentaire existentiel, ce ne sont pas les seules. Ce que signifie aimer des hommes, des femmes ou être aimé(e), l’élan nécessaire que ce sentiment crée dans une vie: c’est l’arc palpitant, curieux et profond de ces Fragments.


Pour lire plus c'est par ici https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/fragments-d-un-parcours-amoureux-ou-la-danse-de-l-archive-documentaire-chloe-barreau-10062333/

VioletteVillard1
8

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il y a 4 jours

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