Ceux qui rougissent
7.8
Ceux qui rougissent

Série Arte (2024)

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Dans 8 épisodes de 11mn Julien Gaspar-Oliveri filme à bout portant avec une sensibilité effrontée et une vigueur incisive une dizaine de jeunes lycéens dans un atelier théâtre.


Ce qui est remarquable dans la série Ceux qui rougissent (qui vient de remporter de nombreux prix au festival série mania 2024) outre son format bref, cash, incisif, c’est son ton piquant, inhabituel et sa mise en scène trépidante.


Nouveau professeur de théâtre remplaçant dans un lycée qui ne sera jamais nommé, Julien-Olivier Gasperi accueille ses élèves dans le gymnase qui va tenir lieu d’atelier. Ce choix du gymnase d’abord oriente la physicalité présente dans toute la série. C’est le corps de la parole, l’organicité et la pulsatilité des visages qui nous sont donnés à voir et à entendre.


Au cours d’un exercice de sport visant à décorseter les corps figés des adolescents qu’il voit jouer face à lui, un des élèves s’adresse au prof et lui demande: mais on est dans un cours de sport ou de théâtre? Et Julien-Gaspar Oliveri de répondre : c’est pareil!


Le THEATRE : UN SPORT DE COMBAT


De fait Ceux qui rougissent pourrait parodier la phrase de Bourdieu: le théâtre est un sport de combat. Et surtout le théâtre est affaire de corps, de sensations, d’émotions, de colère, de manque, de rage, d’espoir, de pulsions, de toute cette part de nous-mêmes que l’on s’interdit ou qui est déjà dévorée, domestiquée, amputée et conditionnée par les comportements et déterminismes sociaux .


Ceux qui rougissent saisit avec poigne, justesse et véracité ce qui se joue dans l’apprentissage du jeu: un accès nu et sans masque à soi, un désapprentissage des codes et vêtements sociaux, une autre langue surtout, plus folle, sauvage, brute, labile, arrachée à la mécanique rationnelle.


Enlevez vos costumes d’élèves engoncés dans la répétition morne du Songe d’une nuit d’été et soyez vrais, au plus près de vous même, au plus près de vos « riens » ou de vos « tout »: c’est le cheminement existentiel que propose ce professeur aux allures d’un Socrate maïeute, jamais flatteur, toujours à l’écoute, direct et franc.


Ceux qui rougissent frappe par sa forme, sa mise à scène à l’emporte-pièce, allant chercher les individualités, les visages, les tourments, les doutes et hésitations des jeunes sous les façades sages ou apeurées tout autant que la série frappe par ce qu’elle révèle de la difficulté d’être acteur : se dépouiller d’un soi social, de toute une imposture apprise de mots-gestes qu’on répète sans cœur, sans chair, sans vie.


SE DEFAIRE, SE REFAIRE, VIVRE SURTOUT


Se défaire pour se refaire, se défaire pour être. Vivre surtout les scènes avec sa nécessité, sa personnalité, son impulsion propre. Julien -Gaspar Oliveri propose toute une série d’exercices vitaux dirions-nous, des exercices qui vont chercher l’être derrière le jeu, la vie foisonnante et la chair blessée ou émotive de ces futurs acteurs.


T’ES QUI TOI ?


L’un de ces exercices consiste à demander : -Qui t’es toi ? Dis le très vite sans penser, sans t’arraisonner aux codes ni à tes réflexes habituels, dis qui t’es sans réfléchir, laisse parler l’âme vibrante de ton corps, qu’elle soit à bout de nerfs (comme l’est un des jeunes dont on ne sait s’il vient pour échapper aux autres spécialités ou pour faire le mariole) ou qu’elle soit jugée sans valeur (plusieurs jeunes on le voit se jugent violemment et se dénigrent) .


MEDITATION SOCIOLOGIQUE SUR LES DOUTES ET BLANCS DE LA JEUNESSE

Julien -Gaspar Oliveri capte la vitalité derrière les blancs et impuissances de la jeunesse. Le spectateur est pris, happé, déstabilisé par ces jeunes à qui le prof demande : -pourquoi t’es là ? avec quoi tu joues ? et qui au fond ne savent souvent que répondre : je ne sais pas ou restent muets !


Sa série est une belle méditation sociologique sur cette jeunesse du 21 eme siècle dont David Le Breton analyse le nouveau désordre psychosocial, la psychose blanche, la vacuité des motivations. Avec ses vides, ses errances, ses obstacles, ses nervosités et fébrilités, son atonie et sa révolte Ceux qui rougissent ausculte avec tonicité et justesse les blancs et impasses de la jeunesse.

VioletteVillard1
8

Créée

le 2 oct. 2024

Critique lue 931 fois

13 j'aime

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