Grâce à Pardon le Cinéma, je sais que c’est une critique des journaux !

France, quelle surprise, c’est une critique du système médiatique ! Que c’est beau, on peut dire que c’est marrant parce que ci, parce que ça, mais quand même c’est un peu creux pour Bruno Dumont, il tourne en rond au bout de 20 minutes… Marco Uzal avait dit lors d’un bilan du dernier festival de Cannes que c’est un film qui allait plaire à ceux qui n’aiment pas le cinéma de Dumont, et inversement pour ceux qui l’aiment. Force est de constater qu’il a tort sur ce point, car tous ceux qui aiment le travail du réalisateur ne pourront voir que sa domination toujours plus importante dans le cinéma français contemporain.


Bruno Dumont a un talent, qui est que ses films ne peuvent pas être résumés, ou plutôt l’intérêt est infime tant de simples mots ne suffisent pas à décrire l’aboutissement cinématographique de ses œuvres. France est dans cette même lignée. Si l’image des films du réalisateur a très souvent été plutôt propre et travaillée ces derniers temps (il y a un vrai travail sur les couleurs, sur la pellicule, pour avoir un rendu qu’on peut qualifier de beau), elle pouvait être entachée par son contenu. Des acteurs au décor (au singulier, Dumont n’aime pas trop la délocalisation), la pauvreté de ce qui était montré provoquait un grand contraste avec le soin de l’image. Dans ce nouveau film, finies les têtes atypiques, voilà de beaux acteurs qui parlent bien et articulent correctement. Si avec Ma Loute (2016) le réalisateur avait déjà utilisé des comédiens connus (Binoche, Luchini et Bruni-Tedeschi), leur phrasé les rendait tout autant ridicules que les acteurs non-professionnels du film. Seulement, dans France ils sont très propres, parlent bien, Léa Seydoux est même adorée de tous. Tout vient alors de l’invisible qui se dégage de l’image et les confrontations entre les plans. La séquence inaugurale à l’Élysée en (fausse) présence de Macron permet de se rendre compte d’une chose : le métier de journaliste est mis de côté, seules les interactions entre les personnages comptent. Il faut s’en rendre compte : dans une séquence avec le président, le but de celle-ci n’est pas ce dernier, mais France de Meurs, la seule et l’unique. D’un autre côté ce n’est pas étonnant, l’une des richesses des films de Dumont résidait dans les regards d’une grande simplicité et humanité entre deux personnages ressemblant parfois à des monstres, mais étant profondément humains. On retrouve cette quête de l’humanité avec le personnage de France de Meurs qui triche partout, fait du cinéma dans le milieu de l’information en montant ses reportages, organise des débats truqués et a une maison bien trop grande pour une famille de 3 personnes (comme dirait Depardieu dans Tenue de Soirée : « ça sent la fraude fiscale »). Un premier choc se produit quand elle renverse un homme appartenant bien plus à l’univers des précédents Dumont par sa difficulté à parler intelligiblement et son strabisme criant. Une surprésence de larmes accompagnera France durant tout le reste du film. Cet aspect rendant un personnage faible, et donc humain, est utilisé avec abondance dans diverses situations, lui faisant alors perdre son sens. Quand France pleure, pourquoi est-ce le cas ? Quand France pleure, triche-t-elle encore une fois ? Par ces multiples questions posées lors des séquences impliquant une émotion forte chez la protagoniste on remarque une chose, ce qu’on voit n’est pas la vérité, ou du moins ça ne peut pas l’être. France semble être sans cesse dans une quête de rédemption face aux (télé)spectateurs, elle qui attire tout le temps la caméra partout où elle va, et tout semble être faux. La preuve quand elle essaie de se faire pardonner auprès du livreur qu’elle a renversé : tout passe par l’argent, rien n’est concret. Bruno Dumont s’amuse avec ce personnage, la filme tout le temps, laisse le montage s’attarder sur elle, donnant lieu à une séquence terriblement ironique avec son mari où un champ contre-champ d’abord sérieux se métamorphose en bataille de regard, où la question est de savoir qui a le plus d’égo et pas qui peut sauver le couple.
Bruno Dumont ne se perd pas quand il fait ce film, car il garde ce qui faisait le sel de ses précédents, à savoir un humour tranchant, qui se moque de tout le monde et surtout qui n’est pas évident. Fidèle à lui-même, c’est parfois des cadrages, des coupes, ou mêmes quelques dialogues (le « Je gagne 5 fois plus que toi ! » est assez savoureux) qui vont contenir cette part d’humour qui atteindra le spectateur quelques temps après la projection du film.


Il est cependant intéressant de voir que le film semble être avant tout un film sur la transformation, comment les choses paraissent et comment elles sont vraiment. Quand Léa Seydoux monte ses reportages, crée de la fiction à travers des coupes (là-aussi, tout à fait hilarantes), elle fait paraître un réel. Cette dichotomie entre être et paraître n’est pas étrangère à Dumont, puisqu’elle a été popularisée par Bresson avec la distinction entre modèles et acteurs, et avec ses précédents films, Dumont a montré qu’il fonctionnait de la même manière. Il est alors intéressant de voir le personnage de France de Meurs avec des personnes qui ne sont pas de son milieu social. Une actrice se retrouve au milieu de modèles et paraît différemment de ce à quoi on était habitué à la voir. Encore une fois, il ne faut pas s’étonner si Dumont a choisi Léa Seydoux, Benjamin Biolay et Blanche Gardin (tous trois excellents dans le film), ça lui permet de les tordre dans tous les sens, de montrer que ce n’est pas eux, qu’ils sont en train de jouer. Alors, le rapprochement entre France et la famille du motard renversé n’apparaît que toujours plus faux car elle joue, elle n’est pas elle-même. Le dialogue social du film apparaît enfin : elle ne peut être réellement qu’avec personnes de la même classe sociale qu’elle (entre deux coupes pour son reportage elle se plaît bien à boire son vin sur un bateau bien plus sécurisé que celui des migrants, avant de se mettre à pleurer), elle ne peut être en couple qu’avec des personnes jouant elles aussi. La mort de Fred de Meurs (l’une des morts les plus iconiques au cinéma de ces dernières années dans une fantastique séquence) et son rapprochement final avec le journaliste l’ayant elle-même dupée ne dit qu’une chose : sèche tes larmes France, la caméra est éteinte.

NocturneIndien
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le 30 août 2021

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