Il est tellement facile de détester le nouveau film de Bruno Dumont que cela en devient suspect : son alignement de clichés, les portes ouvertes qu’il enfonce et la redondance de ses démonstrations mettent le spectateur dans une position qui incite à rejeter en bloc l’intégralité du propos.


Pourtant, rien n’est jamais aisé avec ce réalisateur, qui joue constamment avec diverses strates au point de brouiller volontairement les pistes. Si l’on s’en tient au premier degré, France est un film assez pervers, puisqu’il promet dans son ouverture une satire sous les meilleurs auspices : le duo de Léa Séydoux avec Blanche Gardin dans la décapante conférence de presse avec Macron fait mouche, et semble annoncer une comédie au vitriol. Bien entendu, il n’en sera rien.


La dénonciation qui suit s’attardera davantage sur la pourriture généralisée du système, entre une journaliste égocentrée et un audimat dirigé à la baguette, un mari auteur en panne et une conseillère en communication d’une vulgarité abyssale. Rien de très nouveau, en somme, sur l’état des lieux de l’information. Dumont profite de son sujet pour une leçon de mise en scène qui démontre comment le journalisme organise un tournage qui semble plus relever de la fiction et de l’autocélébration que de la volonté d’informer.


À cela s’ajoute donc la mise à mal de l’héroïne et les possibles voies d’une rédemption : par l’accident, par la prise de conscience et un burn out qui la font pleurer à chaque plan, puis s’éloigner dans un centre de cure pour subir une vengeance du système en bonne et due forme. Là aussi, l’originalité n’est pas de mise : la mélancolie des nappes synthétique de Christophe a beau infuser sa beauté noire sur certains plans, la mécanique est flottante et on attend toujours de voir où va réellement nous mener le cinéaste.


Quelques sorties de route nous replongent dans son univers : un chant en latin dans la neige, la redondance étrange de certaines séquences, et la manière dont la vulgarité, par une photo saturée et brillante, des visages blafards et trop lisses, ne cesse de se pérenniser. Lorsqu’on connaît le rapport de Dumont à ses personnages, et la manière douloureuse dont ils font l’expérience de la rédemption ou de la grâce, on semble toucher du doigt un indice de sa présence : au-delà de ces deux couches d’évidence (le succès obscène de la journaliste, puis le retour de bâton logique du châtiment), une troisième rode en embuscade. La scène lunaire de retrouvailles avec l’amant journaliste sur le banc est en cela révélatrice. Alors qu’une forme très naïve d’amour sublime se déploie au premier plan, le regard du personnage joué par Blanche Gardin vient le ridiculiser avec violence. Le spectateur ne sait quel parti prendre : celui du menteur, celui de la blasée, ou, celui, mutique et opaque, de la destinataire de la déclaration. Cette posture bancale laisse affleurer la possibilité d’un passage constant d’une couche à l’autre, une instabilité très fréquente chez Dumont, que ce soit dans ce recours au grotesque (Ma Loute, P’tit Quinquin) à un kitsch sacré (Jeannette) ou à une violence brutale (Hors Satan, Twentynine Palms).


La redondance de la démonstration (trois tournages, les engueulades, les craquages face caméra) se nourrit alors d’une forme d’écœurement qui nourrit autant France (l’horreur est son fonds de commerce) qu’elle l’épuise, incapable qu’elle est de réellement se défaire de sa nature de prédatrice. Le monde qu’elle donne à voir se présente comme une spirale obscène, où le fanatisme, la misère et la violence ne se tarissent jamais, et face auxquels ses larmes sont surtout risibles, voire un objet de comédie supplémentaire pour le pathos fabriqué à l’image. Le dernier reportage est en cela éloquent, et donne probablement beaucoup d’indices sur la place occupée par Dumont dans cet étrange récit. Situé dans le Nord, sa terre de prédilection, il couvre un meurtre sexuel commis par un homme marié qui a tenu 20 ans après avoir purgé une première peine pour des faits similaires. Le voyeurisme opéré sur son épouse, pour laquelle l’entretien vire à l’interrogatoire accusatoire, met à nu la violence et la barbarie inhérente à l’humanité, sous toutes ses formes. Dans un plan de coupe tourné par France, on voit la journaliste s’adresser de profil à la femme qui est en réalité face au spectateur, elle-même spectatrice passive des questions orientées. Cette inaction hébétée (qu’on retrouvera dans le plan final face à la violence gratuite et ridicule d’un homme s’acharnant sur un vélo en pleine rue) dit bien plus que les discours galvaudés qui asphyxient tout le film : mettre en scène l’horreur du monde, la transformer en spectacle ne pourra évidemment jamais la conjurer. Seul le silence, et l’absence de discours, peut relever d’une forme de dignité face à la saturation barbare qu’est devenu le monde des humains.

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le 25 août 2021

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