Moins connu des cinéphiles en tant que réalisateur que pour son rôle de monteur de Don’t look now, de Nicholas Roeg, Graeme Clifford fait le choix du biopic pour évoquer une partie de la vie de Frances Farmer, actrice hollywoodienne devenue icone rebelle des années 30.
Si le film plonge dans l’environnement intime de la jeune femme, aussi bien son histoire familiale qu’affective, il s’agit d’emblée de montrer son approche érudite et anticonformiste, puisque dès ses seize ans, Frances Farmer, alors élève de la West Seattle High School, fait scandale dans l’Amérique catholique de 1931 via un essai/sermon, intitulé « God dies » dans lequel la lycéenne se réclame de Nietzche et nie l’existence de dieu.
Un coup d’éclat controversé qui lui vaut de gagner le premier prix du concours d’écriture créative, tout en étant catalogué comme la blasphématrice de Seattle. Contre l’avis de son entourage, elle découvre bientôt le théâtre russe, ce qui lui vaudra d’être qualifiée de communiste par les services de surveillance. Elle entre au théâtre dramatique de Washington et désire devenir actrice, voyageant d’abord à New York puis à Los Angeles, des planches aux studios, de Broadway à Hollywood.
Elle passe un contrat de sept films avec la Paramount, qui la considère déjà comme la future Greta Garbo, à condition bien entendu qu’elle se plie au fonctionnement de la machine hollywoodienne : rôles imposés, relations amoureuses prohibées, changement de nom conseillé. Mais son goût pour l’opposition et la provocation – dépourvu néanmoins de militantisme politique – s’affine. Elle refuse tout, se marginalise et retourne sur les planches de Broadway.
Ce n’est que le début d’une longue descente aux enfers où les libertés de la jeune femme seront broyées par Hollywood, le grand tyran de l’histoire, le premier. Celui qui brise les élans affranchis sitôt qu’on n’entre pas dans les cases qu’il alloue. C’est le cas de Frances, qui se voit retirer son rôle dans « Golden boy » – celui de sa vie, dit-elle – dans la pièce de Clifford Odets, pour motif économique. Elle perd du même coup son amant et l’appartement que les studios lui réservaient.
Hollywood est capable de tout par orgueil, même de lui envoyer des journalistes masqués, à sa solde, pour lui faire cracher des déclarations que la presse ira relayer sans vergogne. Elle sombre dans l’alcool, retourne à Hollywood par obligation – et tourne dans des films sans intérêt – est arrêtée pour violences sur les forces de l’ordre, puis sur une maquilleuse puis sur sa propre mère. Son destin tragique trouvera son aboutissement dans les hôpitaux psychiatriques, abrutie par les électrochocs puis la lobotomie trans-orbitaire.
Et la famille de Frances aura eu son rôle à jouer dans cette chute, surtout sa mère, qui aura tutoyé brièvement ce rêve, en vivant ce conte de fées par procuration, elle qui voulait devenir star de cinéma. C’est elle la première qui se résigna à penser que sa Frances était folle : C’est elle qui la recueillit lors de ses nombreux démêlés, tenta de lui faire retrouver le doit chemin, avant de réaliser que sa fille ne fera jamais aucun compromis et de la faire interner pour cinq ans.
Le film est très beau, visuellement, le travail de son chef opérateur Laszlo Kovacs s’avère dans la lignée de ses plus belles réussites : Easy rider, Five easy pieces ou Paper moon. Et si la mise en scène de Graeme Clifford n’a rien d’exceptionnelle, elle trouve précisément sa réussite dans cet académisme. Un académisme de biopic, confortable mais efficace, méticuleux et souverain, dévolue à son personnage et à l’actrice qui l’incarne.
D’une part en calant sa construction, son découpage sur la personnalité de son héroïne : Si le film s’ouvre à Seattle et y reviendra puis fait escales, avec elle, entre les planches de New York & les studios de Los Angeles, le montage s’élance, bifurque, coupe, n’hésite pas à jouer de l’ellipse en permanence. Il fait corps avec elle.
D’autre part pour Jessica Lange, magistrale, habitée. Elle qui avait été révélée quelques années plus tôt dans le remake de King Kong, signé John Guillermin, trouve ici le rôle de sa vie. Qui ne le fut pas, là aussi un peu à l’image du personnage qu’elle campe : Le film de Greame Clifford est quasi oublié, tout juste exhumé pour l’occasion. Toujours est-il qu’elle aurait largement mérité un Oscar.
C’est un beau film sur l’envers du décor hollywoodien. Non pas sur une star déchue ou vieillissante, comme il est coutume d’en voir, comme dans Sunset boulevard, de Wilder ou Qu’est-il arrivé à Baby Jane, d’Aldrich pour ne citer que ces deux-là, mais sur une actrice électron libre, qui sera restée fidèle à elle-même, ses principes, ses libertés, jusqu’à ce qu’on les lui retire de force.
Il faut toutefois noter que si le film ambitionne dans un carton introductif un peu racoleur de raconter « Le récit véridique de la vie de Frances Farmer » rien ne permet de confirmer que la jeune femme fut lobotomisée. Il semble que Clifford ait moins raconté cette vie qu’adapter la biographie qu’en avait tiré William Arnold, qui déjà, fictionnalisait la partie lobotomie de son existence. Ça n’enlève en rien l’intensité émotionnelle procurée par ces dix superbes dernières minutes : sa présence fantôme dans un show télévisé suivi de ses retrouvailles tout aussi fantômes avec Harry York (campé par Sam Shepard) qui sera resté son (unique et) magnifique ange-gardien, tout au long de sa destinée atypique et tragique.
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