Considéré pendant un temps comme le fils spirituel de Tarkovski, Alexandr Sokourov s’est finalement lentement mais surement éloigné des influences du Maître du cinéma soviétique ; FRANCOFONIA pourrait presque ressembler à un Godard tardif, sur lequel on aurait greffé Jafar Panahi. Difficile de résumer la dernière réalisation de Sokourov, rencontre expérimentale, presque opaque, du roman historique, du traité politique, de l’essai artistique et d’un métadiscours philosophique.
On connaît Sokourov pour ses films à dispositif (l’unique plan-séquence de L’Arche Russe, le cadre confiné de Faust), mais FRANCOFONIA semble plus composé que d’habitude. En résulte un montage patchwork, une écriture découpée, fonctionnement par paragraphe. FRANCOFONIA est une dissertation à la hiérarchie logique mais n’échappant pas à la digression, aux envolées lyriques, à l’ambiguïté de fond et à la pose égocentrique.
L’art, la dictature, la mémoire et le rôle de relais : Sokourov, après son Elégie de la traversée et L’arche russe, continue son cycle thématique sur l’importance du musée dans l’inconscient européen. Ce qu’il y a de plus perturbant dans cette approche de la collection du souvenir, c’est qu’elle possède deux visages : d’un côté, le plus évident puisque le cinéaste russe le répète inlassablement, est celui de sa propre fascination pour ces constructions mémorielles ; l’autre, traversant plus ou moins subtilement son texte, est une analyse politique schizophrène sur le poutinisme et l’état actuel de la politique européenne.
FRANCOFONIA décompose son propos par illustrations, aux tons et aux caractéristiques d’origines et de techniques multiples – de l’image d’archive à la fiction, de la webcam à l’effondrement du quatrième mur. Sokourov réalise un fantastique travail en transcendant sa perspective à chaque changement de cadre, mais le véritable orfèvre est sans doute le chef opérateur Bruno Delbonnel, qui fait de l’image de son metteur en scène un outil malléable qu’il sublime à chaque seconde – et ce n’est pas seulement dû à la très réussie post-production.
Mais le chemin emprunté par Sokourov présente rapidement ses limites. Dans la succession parfois un peu chaotique de la palette d’esprits qu’il s’amuse à mélanger, le spectateur pourra être laissé sur le carreau. Car avant d’être un film, FRANCOFONIA est une expérience, une tentative de cinéma ambitieuse, cryptique, singulière – l’essai est courageux, mais l’indigestion n’est jamais très loin. A trop vouloir jouer au malin, le russe perd parfois de sa sincérité ; et les intentions politiques sonnent souvent faux.
Critique par Kamarade Fifien, pour Le Blog du Cinéma