Le point fort du film de James Whale, surtout si on le compare au roman, est sûrement la scène de création du ''Monstre''. Dans le livre de Mary Shelley, il y a peu de détails sur ce moment, alors qu'ici on assiste à un véritable spectacle d'électricité et de pyrotechnie, dans un décor autant gothique (le fameux château dans le tonnerre, devenu depuis classique du film d'horreur) que futuriste (avec tous ces appareils, on est pas loin du laboratoire de ''Metropolis'').
De manière générale, chez Whale, le décor se montre souvent clairement en tant que décor, artifice. Ainsi, il fait souvent passer sa caméra à travers les murs, pour suivre les personnages de pièce en pièce, comme s'il s'agissait d'un décor de théâtre.
Le côté très théâtral de cette scène est d'ailleurs plus ou moins explicité par le Docteur Henry Frankenstein : « Une scène excellente, n'est-ce pas ? Un fou, trois spectateurs sains d'esprit. » Henry est donc autant l'acteur que le metteur en scène de cette scène...
Après ce climax, deux scènes font retomber la tension (procédé réutilisé après le premier meurtre du Monstre), titillant la curiosité des spectateurs (à quoi ressemble la Créature ? Comment va-t-elle se comporter?), l'entrée du Monstre est elle aussi on ne peut plus théâtrale : il se fait d'abord entendre par ses pas lents, interrompant la conversation entre les docteurs Waldman et Frankenstein (ce dernier choisissant même d'éteindre la lumière) et créant un suspense que son ouverture de porte à reculons et dans la pénombre ne fait qu'accentuer ; arrive enfin le volte-face dramatique, marqué par une succession de plans se rapprochant de son visage (un procédé dramatique repris plus tard Whale pour le premier gros plan sur "L'homme Invisible"), mythique.
L'apparence de la Créature est sûrement l'autre grand point fort du film, l'effet qu'elle fait sur le spectateur étant déterminante pour pouvoir adhérer à l'histoire. Whale lui-même a participé à sa création, réalisant notamment des dessins (il a une formation de dessinateur) donnés au maquilleur Jack Pierce, qui a inventé ce fameux visage à l'aide de coton et de collodion (qui deviendront du caoutchouc dans ''La Fiancée de Frankenstein''). Les cicatrices et les ombres furent peintes, et les cheveux plaqués. Et pour que la joue paraisse davantage creuse, Karloff enlevait le bridge qu'il portait à droite. Il était maquillé en bleu-vert et éclairé à l'aide de filtres bleus, afin de donner cet aspect grisâtre en noir et blanc (en conséquence de quoi les autres acteurs étaient maquillés dans des tons roses ou rouges, et éclairés dans les mêmes nuances). Karloff lui-même suggéra qu'on alourdisse ses paupières pour lui donner un air hébété, ce qui fut fait avec de la cire. Les deux boulons plantés dans le coup sont en fait des prises d'électricité. Ce maquillage fut une telle fierté pour Universal qu'un copyright fut posé dessus !
Mais tout ce maquillage ne serait évidemment rien sans le visage fascinant de Karloff...
Pour lui donner plus d'épaisseur, sa corpulence fut augmentée par un costume matelassé et des bottes à semelles compensées, qui étaient également alourdies pour gauchir sa démarche. Des supports furent ajoutés pour raidir ses jambes. Pour que ses bras paraissent plus longs, les manches du costume furent raccourcies.
Mais la grandeur de ''Frankenstein'', ce n'est pas tant l'horreur suscitée par la Créature, mais bien l'empathie que l'on éprouve pour lui. Ce sentiment se met en place dès la première apparition de ce personnage : passé le choc de sa découverte, il nous est d'emblée présentée comme un être aspirant au meilleur (la scène émouvante où il lève les mains vers la lumière du soleil), et pourtant traité comme une bête sauvage, violenté et martyrisé, ce qui a pour effet de le rendre aux yeux du spectateur de plus en plus sympathique. C'est une pauvre créature, comme nous tous, qui n'a pas demandé à exister...
Le ''Monstre'' de Frankenstein incarne d'une certaine manière cette part inconsciente, enfantine, hyper sensible, que la société tente à tout prix de contrôler (et de montrer du doigt, conformément à l'étymologie du mot « monstre »). La société, incarnée dans la foule, apparaît ainsi finalement bien plus effrayante que le Monstre lui-même...