Lorque tu regardes l'abime, prends garde que l'abime ne regarde en toi. (Nietzsche).
Lorsque tu regardes un monstre, prends garde que l'on ne regarde pas le monstre en toi. A l'époque du tournage Tod Browning avait eu beaucoup de difficultés à faire accepter son film qui avait dû être coupé de plusieurs scènes et réduit à une durée d'1 heure. En dépit de cela le film n'a eu aucun succès. Freaks est ensuite devenu un film-culte, mais Tod Browning était depuis longtemps passé de mode.
Freaks marque la fin d'une époque, celle des malheureux exhibés dans les cirques au milieu des artistes « normaux ». (voir cette Vidéo déconseillée aux personnes sensibles).Cette triste incitation au voyeurisme a heureusement disparu. Revers de la médaille les solidarités, les affinités voire plus qui existaient à l'époque entre freaks, telles que l'on peut les voir dans la séquence du banquet du repas de noces, ont elles aussi disparu. Les freaks sont passés aujourd'hui à l'état de personnes en situation de handicap par suite de la médicalisation toujours plus poussée de notre société, isolés le plus souvent dans des centres spécialisés ou des hopitaux psychiatriques. Mais ce n'est rien par rapport à la Russie, à la Chine ou à Singapour où l'avortement est la norme, quite à ce que ce soit de l'avortement post-natal.
Si Freaks était à refaire maintenant on pourrait penser à priori que l'accueil serait meilleur vu que les minorités ont davantage le droit à l'expression et sont plus visibles.
A la réflexion cependant Freaks serait impossible à refaire aujourd'hui, étant donné que tout ce qui est hors normes est désormais soigneusement caché et que le culte de l'apparence physique a fait des « progrès » certains, il suffit de regarder les séries américaines ou les films pour ados. Les critiques continueraient de parler de voyeurisme et de vulgarité, alors que Freaks est au contraire un plaidoyer pour respecter les différences. La fin du film sous-entend d'ailleurs que la frontière entre la normalité et la marge est très ténue et changeante. Comme dans les photos de Diane Arbus ces personnages atypiques vivent, aiment et ressentent les mêmes choses que les personnages dits normaux. Seule la belle trapéziste Cléopatra, avide de possession financière et de plaisirs charnels, est d'un orgueil, d'un égoïsme hors normes. N'est pas le plus freak celui qu'on croit. Et si la vengeance finale du groupe fait basculer le film du bizarre à l'épouvante, pour le plus grand plaisir du spectateur, avec la « parade » monstrueuse rampant dans la boue sous la pluie pour tuer ou mutiler le couple de « normaux », c'est parce que Cléopatra l'a bien cherché en essayant d'empoisonner son mari.
Le chanteur et guitariste Frank Zappa considérait ce film comme son film préféré, interdisant même à ceux qui n'avaient pas vu le film de s'asseoir à sa table ; il a même appelé Freaks Out son premier album. A la suite du film il y a eu au début des années 60 la naissance d'un phénomène de mode: les marginaux pré-hippies épris de liberté qui se proclamaient hors du rêve américain se nommaient eux-mêmes les freaks.
La séquence à voir absolument est celle du repas de noces où, alors que la fête bat son plein, la mariée (Cleopatra) pète les plombs quand le cul de jatte lui propose de devenir« l’un d’entre eux ». Elle chasse alors les invités comme des chiens et pour finir humilie son mari le nain Hans interprété par l'acteur Harry Earles grand par le talent et déjà vu dans le Club des Trois, qui avait eu le malheur de tomber amoureux d'elle. Lon Chaney « l'acteur aux mille visages », l'acteur fétiche de Tod Browning, ne figure pas dans la distribution.
Film inclassable, le plus célèbre du mystérieux Tod Browning, grand connaisseur d'Edgard Poe devant l'éternel, Freaks n' a pas vieilli et fait partie des rares films des années 30 qui resteront à jamais pour la postérité.