Suite à ce qu'il semblerait juger comme une perdition de propos d'auteur, Freddy 3 : Les Griffes du cauchemar s'éloigne du second volet (La Revanche de Freddy), qui utilisait Freddy Krueger comme biais de réflexion autour de la quête de la sexualité à l'âge adolescent (avec toutes les remises en question et mise en danger de soi qu'elle sous-entend), en se centrant une nouvelle fois sur un groupe de jeunes, non plus sur un adolescent en particulier, que l'héroïne du premier volet (Les Griffes de la nuit), Heather Langenkamp, tentera de protéger des griffes du psycho-killer onirique par sa connaissance des rêves et des pratiques de son ancestral ennemi.
Le titre français lui-même renvoie au film d'origine, affirmant la dimension divertissante d'un troisième épisode bien plus soucieux de montrer que de raconter (c'est du moins ce qu'on croit lors de la première lecture), allant à l'encontre d'un second volet qui racontait plus que ce qu'il montrait. Les excès, forcément attendus quand on est au courant de sa démarche exclusivement spectaculaire, seront au rendez-vous certes, mais exercés en suivant un certain sens de la mesure particulièrement efficace.
Parce qu'il nous présente des personnages attachants, qu'il soigne l'interaction que chacun partage avec les autres ainsi qu'avec leur environnement, il parvient même, en s'attardant sur quelques uns d'entre eux (le trio de quota de la fausse hystérique, du muet et de l'afro-américain constituant une base solide de développement de thématiques oniriques prometteuses), à aborder des sujets variés et plutôt profonds, en lorgnant parfois du côté de Vol au dessus d'un nid de coucou en ce qui concerne la perception générale de la folie, conditionnée par des préjugés et des clichés cinématographiques.
Il perpétue ces mêmes clichés en les renversant : là où Requiem for a dream se chargera de donner une trajectoire à la folie (par le personnage de la mère), Les Griffes du cauchemar dissimule un esprit considéré comme malade par l'extravagance de ses propos. Pourtant vrais, ils sont associés à l'imagination fertile d'une adolescente en proie à ses émotions, que les adultes vont naturellement considérer comme une hystérique contrôlée par ses hallucinations visuelles et auditives.
Le docteur se chargera de rationaliser tout cela en apportant à l'intrigue des explications scientifiques peu plausibles quand on connaît le fin mot de l'histoire. Loin de vouloir remettre en question les attentes de gore (il redouble d'imagination pour surpasser le spectaculaire du premier) et la perception du spectateur d'un film Freddy (on sait, dès la première scène, qu'il n'essaiera pas de faire de la parlotte comme le second volet), il se sert de cette volonté de tout résumer par la clinique pour créer ce sentiment de solitude que partagent les adolescents, jamais aidés dans leur tâche par des adultes référents qui ne les comprennent pas et préfèrent les rejeter.
Le désir sexuel de Joey, muet introverti, couplé aux mutations corporelles purement fantasmagoriques de l'univers onirique de Freddy 3 (la force est décuplée, les handicapés peuvent marcher à nouveau,...) attestent de son inspiration première : L'Exorciste. Là où le film de Friedkin se servait de la possession comme métaphore du passage de l'enfance à l'âge adulte, celui-ci s'empare de la figure du boogeyman pour représenter la période fatidique de transition entre l'enfanc et l'adolescence, avec ses dilemmes moraux, ses craintes et ses pulsions.
En traçant une séparation franche entre deux générations (l'une est représentée comme des soignants, l'autre comme patientèle aliénée), il établit en premiers lieux une échelle de supériorité en faveur des adultes, qu'il va progressivement (et intelligemment) retourner dans l'intérêt des adolescents en se servant de l'arrivée de Nancy Thompson (Heather Langenkamp, donc) comme passerelle entre deux âges qui ne se comprennent plus.
Étant donné qu'elle a vécu les mêmes choses qu'eux, elle leur sert de représentant et de témoin auprès des adultes, rendant leur vécu plus concret, plus véridique puisqu'elle l'a vécu elle-aussi : cette métaphore d'une génération qui fait le lien entre les deux autres, pourrait être représentée à l'identique dans une scène où un grand frère ferait comprendre que le comportement du cadet n'est que la suite logique de ce que firent, dans leur jeunesse, les parents et ce même grand frère. C'est ainsi que le psy entrera dans l'univers des adolescents, prenant la place d'un père (ou d'un grand frère) qui s'intéresse au comportement de ses enfants, guidé par ses propres questionnements (ici, l'importance de la religion dans la quête de soi de l'adulte, qui n'est pas sans faire un nouveau lien avec L'Exorciste de Friedkin et la quête de personnalité du prêtre).
Il est donc logique que la grande soeur (ou la jeune mère) se sacrifie pour que les survivants puissent boucler le cycle de leur évolution : c'est en entraînant dans sa disparition l'appréhension que les adolescents ont de l'avenir (représentée à l'écran par Freddy) qu'elle leur offre la possibilité de devenir des adultes, en sachant pertinemment qu'ils ne reproduiront pas les erreurs de leurs ainés. Cette quête initiatique de la personnalité se conclue, tout logiquement, comme disparaît l'innocence de l'enfance : par le deuil d'une personne aimée dont l'enterrement emporta, plus rapidement qu'escompté, les fausses projections de l'enfant qui croyait ses parents éternels.