La mise en abîme est annoncée dans le titre (Wes Craven's New Nightmare). Via ses rêves, l'auteur-réalisateur a retrouvé l'inspiration, et va mettre un terme aux aventures de son croquemitaine. Le film est une boucle de Mobius dans laquelle les acteurs et le metteur en scène jouent leurs propres vies dix ans après le premier tournage. Ils deviennent progressivement prisonniers du récit qu'écrit Craven (sous influence surnaturelle?), et ne s'en libéreront qu'en acceptant de tourner le film que nous sommes en train de voir (merci de leur laisser le choix Wes!).


Craven justifie cette métanarration dans l'air du temps (les auteurs de la culture populaire s'entichent alors de déconstruction et de postmodernisme - cf Sandman!) par l'intégration de Freddy au cortège des contes traditionnels horrifiques dont il accomplit la supposée fonction cathartique : le mal est exorcisé à travers la fiction, le monde est libéré de ses hantises via leur mise en scène.


Ce travail de quasi cure psychanalytique opéré par les contes n'est pas l'unique angle psychologique.


Même si conformément au schéma traditionnel du fantastique, le film adopte le point de vue du personnage qui crie au loup, le récit maintient la possibilité que Heather et son enfant souffrent d'hallucinations (1). En un sens, Craven nous confronte aux apories de l'ethnopsychanalyse [se soigner par la foi, OK tant que ça n'implique pas de sacrifices humains (sauf de mecs déguisés en nounours?)].


On peut s'interroger sur la place importante donnée aux séismes dans cet opus : manifestation tellurique des tourments de l'inconscient collectif, du passage des archétypes maléfiques dans la réalité? Mais ils peuvent aussi témoigner de la confusion entre la réalité et le délire. Les fissures dans le mur (qui prennent l'aspect de griffures; belle variation sur l'un des motifs iconiques qui ont fait le succès de ces "Griffes de la nuit") n'apparaissent qu'après le départ du compagnon d'Heather. Elle et son fils sont les seuls à ressentir le deuxième et le dernier tremblement de terre. De même que son fils est le seul témoin des appels anonymes menaçants auxquels Heather répond. L'entraîne-t-elle dans un délire à deux, lui transmet-elle sa folie? L'hypothèse héréditaire est aussi envisagée lorsqu'elle mentionne des cas de schizophrénie dans sa famille.
Mais simultanément, John Saxon (dans son propre rôle, mais aussi son père dans le film dans le film) rappelle qu'elle n'est pas la première vedette à devenir paranoiaque à cause de ce genre de harcèlement.


En fait, l'une des hypothèses fantastiques serait que Heather (comme heathen, paienne?) et son fils jouent le rôle de passeurs pour Freddy, d'intermédiaires entre les rêves et la "réalité". Ainsi les griffures et les séismes se produiraient à l'intérieur de la maison par l'entregent d'Heather ("J'adore ce que tu as fait de la maison", lui dit ironiquement son conjoint, qui travaille dans les effets spéciaux pour la boîte "Cut FX" - son travail consistant à matérialiser l'imaginaire de Wes Craven!(2)). Le film entier ne raconterait que la manifestation de plus en plus concrète de ses rêves dans la réalité (ou sa plongée dans la folie) : il débute par le rêve d'une mort, qui va devenir réelle par sa faute - et pendant son sommeil !

Si Heather possède les aptitudes chamaniques à communiquer avec les morts, et à accomplir la volonté d'un mort-harceleur, elle est également témoin de la tentative de ce mort pour se réincarner dans son fils, qui se comporte de manière parfois menaçante - mais ce pourrait être sous son influence, ou dans sa perception faussée à elle ?


Le premier Freddy illustrait la transmission de la culpabilité à travers les générations, puisque les enfants payaient pour le crime de leurs parents. Variation sur le thème classique du fantôme vengeur, sous un angle déjà envisagé quelques années plus tôt dans Fog, où la communauté devait sacrifier cinq de ses membres aux spectres des victimes de leurs ancêtres. Cet ultime Freddy aborde maintenant la pérennité du mal: Craven fait de son monstre un avatar du diable (dont il révèle l'apparence au moment de sa destruction), un principe métaphysique s'incarnant sous différentes formes comme le Ca de Stephen King.


Le "ça" désigne en français de psychanalyste la part pulsionnelle (primitive) de l'inconscient, le fond commun d'animalité de toute l'humanité. On glisse de la transmission des traumatismes de génération en génération, aux ancestraux archétypes jungiens. Les inconscients de la mère et du fils communiquent d'autant plus spontanément qu'ils partagent un fond commun de représentations archaiques et d'émotions qui leurs sont associées. En somme, les archétypes seraient la jonction entre l'inné et l'acquis, l'élaboration historique longue qui rejoindrait l'évolution (expliquant la peur innée des serpents ou des araignées, par exemple). Et Freddy serait, en compagnie de la sorcière des contes, du vampire des superstitions jusqu'aux démons des religions, une des formes les plus récentes de ces archétypes, de ces représentations auxquelles sont associées des émotions intenses. L'une des incarnations du mal, l'une de ses manifestations symboliques les plus récentes, un mythe moderne aux origines préhistoriques.


D'ailleurs le fils de Heather n'est pas défendu par n'importe quel animal de compagnie contre les incursions de Freddy : c'est une peluche de dinosaure, qui sera elle aussi lacérée par les griffes de l'agressivité primale et destructrice qui a évolué pour donner le concept du mal. Si vous considérez ça comme un raccourci facile, alors vous allez aussi douter de l'affirmation selon laquelle Terrence Malick serait un philosophe, puisqu'il représente dans son "Arbre de la vie" les origines de la compassion sous la forme d'un dinosaure qui en épargne un autre.


Hélas, Wes Craven s'est un peu embourbé dans sa richesse thématique. Il a évité la formule commerciale du "bodycount" des slashers qui fournissent un mort tous les quarts d'heure. Mais son film est plus agaçant qu'effrayant, trop long, parfois maladroit : la direction d'acteur de l'enfant est problématique - on ne sait pas trop s'il est supposé parfois nous effrayer après nous avoir apitoyés, ou si l'on doit ressentir de la peur pour lui.
Au moins, Craven est un auteur, avec ses défauts et son originalité, et une capacité rare à explorer des thèmes variés. Et il a créé Freddy - le rêve dont est faite l'étoffe verte et rouge.


(1)[y compris l'extravagant meurtre dans l'hôpital (référence au premier film) qui semble, par les traces de sang laissées au plafond, trancher la question de la matérialité du surnaturel comme l'ouverture de la porte de la réserve frigorifique dans Shining]
(2) Et le film s'ouvre sur la fabrication d'une main mécanique, que Freddy met à la place de sa vraie main - scène qui relie son personnage à celui que Heather a singulièrement choisi comme père de son enfant, concepteur d'effets spéciaux - et de celui-ci en particulier. Ce passage rappelle également la scène de Terminator où le robot répare son bras, inscrivant les deux dans la continuité d'un type de personnage cinématographique de prédateur.

ChatonMarmot
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le 22 déc. 2019

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