Fremont (Californie)
Réfugiée afghane aux États-Unis, Donya travaille pour une entreprise familiale de fabrique de cookies, ce qui lui assure une relative tranquillité. Malheureusement, son passé l’empêche de...
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le 14 déc. 2023
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Réfugiée afghane aux États-Unis, Donya travaille pour une entreprise familiale de fabrique de cookies, ce qui lui assure une relative tranquillité. Malheureusement, son passé l’empêche de dormir.
Donya (Anaita Wali Zada) est une charmante jeune femme qui s’en sort plutôt bien par rapport à son vécu. En effet, elle a échappé à l’ambiance devenue insupportable en Afghanistan, et elle a un emploi stable aux États-Unis. Elle obtient même une promotion, parce que son patron, conscient de ses capacités, lui propose de succéder à sa collègue malheureusement décédée, pour rédiger les petits messages qui font la réputation des « Handmade Fortune Cookies » (cookies porte-bonheurs) que l’entreprise commercialise, essentiellement auprès des restaurants asiatiques de la région de San Francisco. Les clients apprécient de trouver ces messages surprises à l’intérieur des friandises.
Dormir
Les journées de Donya sont occupées par son travail, à San Francisco. Le souci, ce sont les nuits, quand elle retourne à Fremont où elle réside. D’autres réfugiés afghans habitent dans le même immeuble qu’elle. Et, comme à son travail, l’ambiance y est relativement calme. Donya dispose d’un logement petit mais correct. On remarque ainsi le lit étroit dans lequel la jeune femme dort. A une collègue qui l’appelle un soir alors qu’elles sont toutes les deux déjà couchées (mais la collègue, elle, n’est pas seule) et qui lui conseille de changer son lit pour un autre plus large, elle lui répond qu’elle n’a pas la place. La suggestion de sa collègue correspond au fait que Donya ne dispose pas des conditions pour envisager une cohabitation amoureuse, quelque chose qui bouleverserait sa vie et lui permettrait probablement de mieux dormir. Cette observation est à mettre en parallèle avec ce qu’on observe chez l’employeur de Donya. La jeune femme se montrant à l’aise sur son nouveau poste a profité de la situation à des fins personnelles, ce que la femme de son employeur déplore vivement, allant jusqu’à demander à son mari de licencier Donya pour faute professionnelle. Le couple s’apprête à se mettre au lit et, chez eux, l’angle de prise de vue donne l’impression que le lit est de type king size. Ceci dit, le couple se trouve alors en situation de désaccord…
La condition de réfugiés
Pour Donya, cette condition qui devrait lui permettre de respirer puisque son avenir est désormais assuré, lui apporte surtout un sentiment de culpabilité, puisqu’en Afghanistan, elle a laissé sa famille et ses collègues. Elle souhaite consulter un psy qui devrait pouvoir lui prescrire des pilules pour dormir. Malheureusement, obtenir un rendez-vous se révèle problématique. A tel point qu’elle va profiter de celui obtenu par un ami voisin pour s’y rendre à sa place. Il lui faudra insister pour profiter de ce créneau horaire, le psy et sa secrétaire se montrant particulièrement professionnels. D’ailleurs le premier face-à-face avec le psy ne se passe pas du tout comme Donya l’imaginait. Le praticien ne se contente pas d’enregistrer ses doléances concernant son sommeil…
Belle surprise
Filmé en noir et blanc et au format 4/3, Fremont dépasse largement le cadre du petit film plutôt bien fait mais qu’on finirait par oublier. Bien que non débutant, le réalisateur iranien Babak Jalali (également coscénariste avec Carolina Cavalli) fait figure d’illustre inconnu. De même, au casting ne figure aucun nom déjà repéré, ce qui représente un atout dans la mesure où chacun-chacune se montre au minimum à la hauteur. Au minimum, car Anaita Wali Zada entre dans son personnage de manière stupéfiante, de même que Gregg Turkington dans le rôle du psy (voir ses mimiques faciales notamment), un rôle parfaitement travaillé puisqu’on sent le professionnalisme du personnage qui cherche à comprendre Donya en l’interrogeant sur son passé, mais sans chercher à la mettre mal à l’aise. Il la met progressivement sur la voie du travail qu’elle peut faire sur elle-même pour aller mieux (aphorisme de son cru « Au port, un bateau est à l’abri, mais il n’a pas été construit pour cela. ») Les différentes rencontres que fait Donya permettent de mieux situer le personnage : le voisin dont on devine la violence potentielle vis-à-vis de sa femme, celle qui travaille face à Donya avant sa promotion, leur employeur et sa femme, le patron du bar où Donya mange seule probablement tous les soirs ainsi que le mécanicien à qui elle demande de l’aide dans un garage. Revenons sur le patron de Donya, d’origine asiatique, image presque idéale du rêve américain qui s’est élevé à la force de sa volonté. Il fait visualiser à Donya leurs parcours : elle est née à Kaboul, lui à Shanghai et ils travaillent à Fremont près de San Francisco. C’est donc le destin qui les met en présence, ce qui explique la bienveillance avec laquelle il la traite.
Un style
Tout cela est mis en scène tout en douceur, le réalisateur prenant le temps de montrer et faire sentir ce qu’il a en tête en comptant bien plus sur la manière allusive que démonstrative. Le noir et blanc est à cette image, beau sans visée esthétique supérieure. De même, Donya est charmante sans être une beauté à tomber par terre. La douceur de l’ensemble correspond à la tendresse, palpable, que le réalisateur éprouve pour ses personnages. Elle est accentuée par la remarquable BO signée Mahmoud Schricker, essentiellement instrumentale, avec ses accents mélancoliques et quelques envolées particulièrement mélodieuses, sans jamais devenir envahissantes. Bref, le réalisateur réussit un petit miracle d’équilibre et de sensibilité avec un minutage très raisonnable (1h28), pour faire sentir le malaise de Donya, ses raisons et ses efforts pour en sortir. La violence physique n’est donc pas niée ici, mais elle reste suggérée. Et le film laisse suffisamment de place à l’imaginaire des spectateurs pour certains détails (exemple avec l’immeuble où habite Donya : est-il exclusivement peuplé de réfugiés afghans ?) Logiquement Fremont (Prix du jury au festival de Deauville 2023) nous réserve une fin ouverte qui pourrait correspondre à l’un des messages des fortune-cookies, du genre « Ne laissez pas passer la chance qui finit toujours par se présenter, parfois même de façon assez inattendue. » Ni exagérément optimiste, ni trop passe-partout.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné
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le 14 déc. 2023
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