1954 : après quinze ans passés à l’étranger, pour des films américains ou indiens souvent jugés comme mineurs, Jean Renoir (La grande illusion) revient en France. French cancan est donc son premier film français depuis La règle du jeu. Il se situe au début de la Belle Epoque (1879-1914), s’inspire de la création du Moulin Rouge (1889) et de son fondateur, interprété par Jean Gabin. C’est l’occasion de mettre en scène l’harmonie et les joies d’une époque, dont l’allégresse est si intense qu’a posteriori on pourrait la croire fantasmée.

Le cinéma effusif de Renoir tourne à plein, le sujet est sur-mesure. Sa finesse et son acidité tant louées sont moins saillantes, même si les portraits ou plutôt leurs ébauches sont très convaincants. Le talent d’amuseur propre à Renoir et surtout de galeriste (tous ces personnages, toute l’émulation) s’épanouit avec force, notamment dans la première partie. Le Moulin Rouge en tant que tel n’est évoqué qu’au bout de 45 minutes (il reste alors une heure) : French Cancan est d’abord la représentation euphorique d’un milieu.

Il montre les faces publiques et privées des arts du spectacle, présente le contexte, les anecdotes, les mécanismes, avec parfois un certain cynisme guilleret. Jean Gabin interprète un pacha nonchalant et efficient, chef-d’orchestre de toutes ces gauloiseries glamours, menant une vie de plaisirs sans oublier qu’il doit toujours se renouveler pour écarter les risques de déclassement. C’est en voulant remettre au goût du jour le french cancan qu’il va fonder le Moulin Rouge.

Le patron du Paravent chinois (autrefois, de La reine blanche) veut aller au bout de la logique de son univers et mettre « l’illusion de la grande vie » à portée de toutes les bourses ; aristos et prolos pourront s’encanailler dans le confort et la sécurité. Enfin, les bourgeois surtout, les autres étant probablement saoulés par cette république dont ils ne s’étonnent plus (c’est la remarque d’un passant) ou alors, absents des plateaux. En effet le sérieux de ce sacré postulat n’est pas examiné par Renoir, plus absorbé par l’ivresse du milieu et de ses mœurs que soucieux d’approfondir les caractères ou de nous confronter aux aspects trop graveleux ou ambigus.

Dans French Cancan tout est présenté avec intelligence, mais tout ce qui n’existe pas ici et maintenant est carrément occulté. En-dehors du milieu homogène et de la fête, rien ne saurait croître ni s’affirmer ; en ce sens, Renoir ajuste sa réalisation à la superficialité et l’outrance de son sujet. Son enthousiasme est grand, le revers c’est que sa tendance à avoir des airs profonds plutôt que l’être vraiment devient évidente. Gabin/Danglard est d’accord sur une chose avec son meilleur ennemi : il dit avec lui qu’il faut demeurer maître des illusions et loue leur nécessité. Ils sont tellement d’accord là-dessus qu’ils oublient leurs antagonismes et que l’affaire avancera, comme toujours.

Sans sacrifier sa fougue, le film perd de ses charmes quand le Moulin Rouge est lancé ; le chaos de l’inauguration est moins amusant. Puis comme il déroule tout son attirail, il l’emporte par la force. Le spectateur contemple un catalogue de numéros, chansons ou performances, où Edith Piaf fait une apparition. Le casting est d’ailleurs très chargé, avec de nombreuses célébrités de l’époque comme Giani Esposito et des comédiens populaires, comme Philippe Clay, Michel Piccoli, Maria Félix, Dora Doll, Françoise Arnoul.

En marge doit se régler une amourette signant la dimension morale du film tout en ménageant des attentes plus spécifiques, densifiant une narration assez minimaliste dans l’ensemble. Ainsi Nini, la dernière arrivée dans la troupe de Danglard, doit trancher entre ce monde du spectacle exigeant, excitant, risqué aussi et une vie confortable, humble et tracée avec le petit boulanger. Dans les deux cas, elle trouve son bonheur en faisant celui des autres.

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le 4 janv. 2015

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