"French Cancan" est un des premiers films tournés par Jean Renoir après son retour en Europe après-guerre. C'est aussi le retour de Jean Gabin sous sa caméra depuis "la bête humaine".
Jean Renoir s'attaque à un véritable symbole français et parisien, le Moulin Rouge dont il se propose d'en conter la construction et le démarrage dans les dernières années du XIXème. Quant à Jean Gabin, la roue a aussi tourné et il présente désormais un autre visage et ses rôles correspondent désormais à ceux d'un homme dans la force de l'âge.
En bref, ce film est un véritable enjeu pour leurs carrières à tous deux.
Le personnage, Danglard, joué par Gabin est fort intéressant. C'est un "meneur de spectacles" dont la vie – mouvementée – est consacrée à la création de revues. Rien ne compte que le plaisir grisant du succès et des applaudissements des spectateurs. Un soir, il danse, par hasard, avec une jeune grisette, blanchisseuse de son état, (Françoise Arnoul) et il lui propose de développer son talent faisant naître une idée pour un éventuel nouveau spectacle. Une autre fois, c'est une chanteuse des rues dont la voix le séduit. Mais il vit comme l'oiseau sur la branche. Toujours à la recherche d'un crédit, d'un mécène pour concrétiser ses idées. Cependant, sa vie tumultueuse lui fait connaître des revers de fortune jusqu'au moment où, enfin, les astres semblent s'aligner lui permettant d'aboutir à la mise en œuvre du Moulin Rouge avec un spectacle dans lequel il modernise une vieille danse qu'il baptise "french Cancan".
Une scène très forte révèle le fond du personnage lorsque Nini (Françoise Arnoul), amoureuse et jalouse de voir Danglard s'intéresser à une autre artiste, décide le jour de l'ouverture du Moulin Rouge de déclarer forfait. Danglard lui rétorque violemment qu'il n'a qu'un seul amour, le spectacle et l'art. S'il a donné l'illusion de séduire, ce n'est en aucun cas de l'amour mais juste la promesse du succès et des paillettes (même si ça ne dure pas).
Un rôle tout à fait à la mesure de Gabin qui y est impérial à louvoyer entre les uns et les autres pour arriver à ses fins.
Mais c'est la mise en scène de Renoir qui est remarquable dans ce film, appuyée par un splendide Technicolor, dans lequel on sent qu'il a pesé de tout son poids.
Le film est une succession de tableaux et un défilé d'artistes de l'époque. Le plus symptomatique, c'est le tableau où Nini avec son bouquet de roses s'assied sous un pommier en fleurs en haut d'une colline. Il y a aussi Lola qui s'étire voluptueusement dans son lit et tant d'autres. Les affiches sont évidemment dans le style "Toulouse-Lautrec" …
Les décors, les costumes sont très travaillés et apportent une touche visuelle très convaincante.
Le spectacle, et notamment l'étourdissant French Cancan, à la fin, résulte d'une mise en scène millimétrée.
On reconnait, bien entendu, la patte de Renoir dans l'expression de la mixité sociale où tout semble possible : la blanchisseuse qui peut connaître la gloire et sortir de sa condition avec le risque à la fin de se clochardiser, à l'exemple de Prunelle. Le riche prince (étranger) (Giani Esposito) qui tombe éperdument amoureux de la petite blanchisseuse. Le baron Walter (Jean-Roger Caussimon), mécène de Jean Gabin, qui n'hésite pas à s'encanailler. Les voyous qui côtoient les bourgeois. A l'image du spectacle, les protagonistes vivent dans le rêve. Dans l'illusion ?
Le casting regroupe beaucoup d'acteurs connus comme Philippe Clay, Maria Felix, Caussimon, Dora Doll, Edith Piaf, etc … On y trouve même Michel Piccoli dans le rôle d'un fringant militaire …
Reste la musique tirée de divers morceaux très connus comme "la vie Parisienne" d'Offenbach (pas ma tasse de thé à l'ordinaire mais ici, c'est tout à fait adapté).
Pour finir, j'ai énormément apprécié la belle chanson "Complainte de la butte" chantée par la sublime voix de Cora Vaucaire (en doublage d'une actrice)
Même si le sujet ne me passionne pas plus que ça, il faut bien reconnaître que c'est un film intéressant qui est une belle photographie d'une époque, superbement réalisé et très bien joué par des acteurs très impliqués.