Je dois préciser que j'ai un rapport très ambivalent à Despléchin. Ses premiers films m'ont tellement enthousiasmé à un moment de ma vie (en particulier Rois et Reine) que je ne peux m'empêcher de me précipiter en salle à chaque nouvel opus du cinéaste, tout en sachant pertinemment que je risque d'être déçu. Car il faut bien dire que depuis Rois et Reine, Despléchin est devenu incapable de faire de grands films. Lorsqu'il s'essaye à un autre registre, le résultat est même à la lisière du pathétique. Son adaptation de Tromperie (Philip Roth), sorti l'an dernier, était à la limite du fiasco. Avant cela, pas grand chose à retenir, à l'exception peut-être de Trois souvenirs de ma jeunesse, et encore. Quant à sa tentative hollywwoodienne avec Jimmy P., elle fut un chef d'oeuvre de classicisme pédant.

Je n'attendais pas grand chose avec Frère et Soeur donc. Eh bien, je dois dire que c'est le meilleur Despléchin que j'ai vu depuis bien longtemps. Peut-être parce que le cinéaste opère un véritable retour aux sources ; d'ailleurs le parallèlisme avec Rois et Reine est assez flagrant.

Frère et Soeur nous dépeint une fratrie déchirée et polarisée autour d'un Frère (Melvil Poupaud) et une Soeur (Marion Cotillard) qui se détestent. Pourquoi ? On ne saura pas vraiment ; il s'agit une vieille rancoeur enkystée qui tire ses origines de leur concurrence sociale. Lorsqu'Alice, l'actrice prodige et adulée, est détrônée aux yeux du microcosme intellectuel par son frère Louis, l'écrivain confidentiel, la guerre éclate. L'amour fraternel laisse place à la haine. Haine indépassable autant que ridicule qui affecte l'ensemble de la famille, tout particulièrement leur père. C'est précisément la disparition de ce père et le deuil familial qui en découle qui permettra aux deux coqs de se réconcilier.

De cette histoire banale, presque insignifiante, Despléchin parvient à créer une ambiance assez captivante. Le jeu d'acteur des deux protagonistes est vraiment saisissant, tout autant que les seconds rôles (Patrick Timsit et Golshifteh Farahani). Melville Poupaud et Marion Cotillard campent leur rôle en dignes héritiers du couple Amalric / Devos, un brin de folie en moins, il est vrai.

Certes on ne retrouvera pas dans Frère et Soeur toute l'inventivité scénaristique qui m'avait tant plu dans Rois et Reine. Néanmoins, la mise en scène est particulièrement léchée, de même que les dialogues et j'ai été captivé par cette querelle d'égo qui nous rappellent à quelle point nous sommes toujours notre pire ennemi.

Despléchin renoue avec ses thèmes de prédilection : le deuil, la famille dysfonctionnelle rongée par la haine, des artistes lettrés ivres d'eux-mêmes et perclus de jalousie. Dans ce registre Despléchin excelle car c'est sûrement ce matériau filmique qui comporte la plus grande dimension personnelle. Non pas autobiographique car Despléchin ne vient pas du sérail de la grande bourgeoisie intellectuelle des beaux-quartiers de la capitale, bien au contraire : ce n'est qu'un Roubaisien débarqué à Paris pour faire la Fémis, cette grande école de la noblesse cinématographique française. Devenu bourgeois gentillome du capital culturel, intello parvenu et snob (littéralement sans noblesse), son cinéma n'en est pas moins touchant car Despléchin met dans sa facination pour l'élite culturelle surranée de notre pays une dimension profondément fantasmatique. Il en va de même de sa passion pour la culture juive qu'il développe dans chacun de ses films ; Despléchin nous dépeint celui qu'il aurait aimé être et qu'il ne sera jamais. Voilà ce que nous raconte l'auteur et c'est sûrement cette mise à nu qui fait que j'ai autant d'affection pour le cinéaste. Surtout quand il mobilise tout son talent.

Samfarg
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le 11 juin 2022

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Samfarg

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