Le polar commercial français étant à peu de choses près en état de mort cérébrale, il convient de ne pas trop faire la fine bouche devant ce "Frères Ennemis" qui aligne discrètement de nombreuses qualités... sans parvenir tout à fait à les transformer en réussite.
En partant d'un sujet qui peut rappeler ceux des chefs d'oeuvre de James Gray, c'est à dire un noeud gordien de trahisons et de culpabilité au sein d'une "famille" déchirée entre activités criminelles et liens du sang, Oelhoffen nous propose un passionnant portrait d'une micro-société terriblement proche de nous (de l'autre côté du périph pour les Parisiens, la précision des repères géographiques étant d'ailleurs l'un des petits plaisirs que distille le film...) et pourtant réellement étrangère, et par là même effrayante, vue "de l'intérieur". On pourra aussi penser que la complexité des relations entre flics et malfrats, voire entre les différents services de la Police, résonne de manière particulièrement juste, par rapport à ce que l'on en devine en parcourant l'actualité des faits divers, et ce réalisme - ou tout au moins cette crédibilité - tranche avec le tout venant spectaculaire du polar courant...
Qu'est-ce qui fait alors que "Frères Ennemis" ne réussit pas à nous emporter jusqu'au bout de son intrigue plutôt bien construite sur le principe classique (pour le genre) de l'enchaînement fatal et irrémédiable d'événements déclenchés involontairement par les deux personnages principaux, chacun à leur tour ? La sous-utilisation des talents de deux acteurs aussi remarquables que Schoenaerts et Kateb, réduits à des poses figées et des visages hiératiques (un "effet Melville" ?), ou bien l'incapacité de la mise en scène à élever finalement le film vers un vrai lyrisme tragique qui "transcende" la médiocrité de ces destins crapuleux (... comme chez Gray, justement !) ? Un peu des deux, sans doute...
En l'état, "Frères Ennemis" reste une jolie réussite mineure, un petit film qu'il ne faut pas manquer si l'on fait partie de ceux qui espèrent encore et encore une renaissance du "cinéma du milieu" en France.
[Critique écrite en 2018]