Voilà un film que je découvre tardivement, et c'est tant mieux. Il y a pour moi deux manières d'aborder les biopics : on peut attendre du film une vision que l'on s'est faite de quelqu'un, ou on peut arriver les mains vides, un peu par hasard, et découvrir une vision subjective. Pour Frida, c'est la 2e option qui s'est imposée à moi, car de cette femme, je ne connaissais que quelques autoportraits, et du reste j'ignorais tout... Et quelle découverte !
Ce film est d'une justesse toute particulière (pour quelqu'un qui découvrirait Frida Kahlo comme moi pour la première fois par son intermédiaire). Il n'ouvre pas une fenêtre, mais des dizaines, à mesure que le récit avance.


Il y a d'abord le personnage centrale : Frida, une femme que l'on devine extraordinaire, frappée par un accident lors de son adolescence qui la rendra infirme à vie et qui orientera définitivement son existence. On pourrait dire que c'est la souffrance qui caractérisait Frida Kahlo, qui donnait matière à son oeuvre artistique. Et pourtant, alors même que cette souffrance l'habitait chaque seconde de chaque heure, le film refuse de faire d'elle une martyre et parvient à lui rendre un hommage magnifique : elle n'est pas une femme qui souffre chaque seconde, elle n'a d'ailleurs même pas besoin de le dire


D'ailleurs une ligne du dialogue le montre bien quand elle répond à Diego Rivera qu'elle est fatiguée des questions de "comment se sent-elle".


elle est une femme qui vit, incarnant la passion dans sa tourmente et dans ses amours (thématique très présente au long du film). La souffrance se comprend, se ressent à travers les animations de ses tableaux qu'égrène le film. Le thème de la mort, des squelettes, des corps écartelés, est toujours présent, ponctuellement, mais il ne couvre en rien la flamme qui habite l'artiste.
Et c'est ce jeu entre la passion et la souffrance, entre la vie et la mort, représenté non pas de manière réaliste, mais dans un tourbillon détaché du réel, qui rend justice à une volonté inflexible: celle de vivre et de créer au-delà de la destruction imposé par son "judas de corps" pour reprendre ses mots. La mort ne gagne jamais, seule compte la création, qui par là même instrumentalise la mort pour s'en emparer et la retourner.


Et cette manière de refuser de faire de Frida une malade et d'externaliser dans le film la cause de ce mal à travers les animations de ses peintures est un choix brillant, qui nous dévoile avec une grande justesse (au risque de me répéter) une incroyable personnalité. Frida existe dans ce film au-delà de la souffrance qui la caractérise, et en cela elle gagne une incroyable aura de force et de courage.


Les autres fenêtres sont tout aussi particulières : il y a au coeur de la vie de Frida de multiples influences qui ont toutes ici leur place. Sa relation à sa famille (à son père en particulier), sa relation tumultueuse avec Diego Rivera sont très bien rendues. On est à ses côtés dans ses choix, dans ses désillusions, dans sa vision des choses. Le personnage de Rivera est parfait et l'alchimie est indiscutable entre les deux acteurs.


L'Histoire est là aussi. Par une fenêtre entrent Rockefeller, Trotski et d'autres, qui complèteront la grande fresque de ce film. La mise en scène participant activement à la rupture et au mélange des protagonistes et des histoires, en intercalant tableaux rendus vivants, coupures de journaux s'animant, noir et blanc, ralentis, incrustations des acteurs dans des extraits de films, etc. C'est un rythme effréné qu'impose le film, jonglant entre passions, rupture, accidents... au risque de passer parfois à côté d'une forme de clarté dans la trajectoire du personnage. Mais un personnage si complexe méritait de toute façon un film à sa hauteur.


Enfin, un de mes regrets (car il faut bien en citer un) ((mais finalement n'est-ce pas là aussi un parti pris intéressant)) est l'importance, la prépondérance même, des passions dans ce film qui fait voir beaucoup de rencontres par le prisme de la sexualité brute plutôt que par l'esprit


je pense ici notamment à la relation entre Frida Kahlo et Trotski, qui m'a étonné par la brutalité avec laquelle elle intervient (il sonne chez elle, ils couchent ensemble), et la rapidité avec laquelle elle balaie finalement le coeur de leur rencontre, à savoir leurs échanges intellectuels et leur attraction manifeste.


Mais dans l'ensemble, ce prisme de passion et de sexualité permanente compose assez bien dans le tableau tumultueux que nous offre le film. Le ressenti global est parfois un peu brusque et étonnant dans les choix qui sont faits, mais les couleurs, la musique (ah... la musique, énorme coup de coeur sur les interprétations et les choix de morceaux !), le rythme... : tout est fait pour dévoiler une femme brillante, enflammée, vivant la vie à tambours battants malgré le poids que celle-ci avait mis sur ses épaules.


Pour tout cela : un film émouvant et inspirant à voir et à revoir !

AgatheSg
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le 8 mars 2018

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