Mes débuts avec Lav Diaz ne s'étaient pas du tout déroulés comme je le pensais. Avec "Norte, la fin de l'histoire", je sortais épuisé et déçu de cette séance qui n'eut pour moi qu'un intérêt proche de l'inexistant, à l'instar de ce que le récit était censé me raconter. C'était avec grosse circonspection de rigueur que je récidivais en poussant le vice jusqu'à viser une bête d'une belle durée de 5h38, nécessitant une certaine préparation mentale, qui plus est en ayant l'objectif irresponsable de tout voir en une seule soirée. Ai-je craqué ? Grand Dieu non si ce n'est une pause indispensable comme pour toute personne psychologiquement stable. Je battais mon record des 5h25 avec le chef-d'oeuvre 1900 de Bertolucci.
En dépit d'un synopsis cultivant l'étrangeté, je n'en attendais rien. Je sentais que si ça se ramassait encore, Lav Diaz aurait fini par perdre de son intérêt. From What Is Before pourra se targuer de faire partie de cette catégorie de films qui m'ont fait fermer ma gueule, me laissant là hagard en mode "Pardon, j'ai eu tort de douter". Dans ce film, j'y retrouvais ce que je cherchais. Tout d'abord un noir et blanc sur des paysages à tomber à la renverse. Alors que Norte n'était que limité, une attention toute particulière est portée aux paysages philippins où mer, jungle, champs de riz et petit village coexistent en harmonie. De longs plans fixes couplés à de longs silences où seule la nature s'exprime verbalement, que ça soit par le vent, la pluie, le bruissement des feuilles ou même des bruits animaux. Il y a une sérénité qui se crée dans ce rendez-vous en terre inconnue où le dépaysement est garanti.
Dans Norte, je reprochais aussi l'inutilité d'une aussi longue durée pour un récit qui ne justifiait pas cela. Dans From What Is Before, on ne perçoit pas cette impression de vide. Dans l'immensité de ces décors se passent de nombreuses choses et ce malgré la tranquillité d'apparence. Le vol de bovins, l'incendie inexpliqué de petites maisons en bois et paille, un homme retrouvé mort, une femme ayant plongé dans la folie et sujette aux commérages. Même si on s'éloigne des tracas de la civilisation et des rumeurs urbaines, le malheur est inévitable, les ennuis aussi. Et dans le mystère irrésolu de ces sombres énigmes se dessine le portrait de villageois peu impliqués, guère soudés. En choisissant de n'apporter aucune réponse à leur mal-être, Diaz use de perversion pour les laisser là dans un embarras déjà bien conséquent quand se mêleront l'arrivée de militaires et plus tard une faction communiste.
On peut dire que les 5h38 sont réellement justifiées, ce qui est une excellente nouvelle pour apaiser les craintes de certains. Toutefois, il faut garder à l'esprit que l'on a là un (très très) long-métrage exigeant et aux antipodes de la traditionnelle et clichée oeuvre rythmée. Dans From What Is Before, ça parle peu mais il y a toujours un truc qui se passe. C'est donc un peu sur le cul que je sortais totalement comblé de cette odyssée underground qui me met en confiance pour la suite de mon voyage au pays de Lav Diaz, ces Philippines qu'il me tarde de visiter un jour comme l'ensemble des pays de l'Asie du Sud-Est.