Pur divertissement de son époque, Escape in the Fog constitue l’un des premiers films d’Oskar Boetticher Jr. Une série B artistiquement défaillante néanmoins porteuse d’une bienveillance à l’égard du genre et rétrospectivement passionnante dans la filmographie du réalisateur.


Faire face au passé


Bertrand Tavernier aime à rappeler le dégoût profond de Boetticher envers cette première salve de films noirs mis en scène pour le compte de la Columbia dont fait partie Escape in the fog. Les cinéphiles connaissant un tant soit peu la filmographie du réalisateur de Sept Hommes à abattre savent à quel point l’artiste mettra un point d’honneur à illustrer ses oeuvres les plus personnelles de ses passions ardentes. La réaction viscérale de Boetticher vis à vis de ce premier pan de carrière dénote l’auteur raffiné de westerns qu’il est devenu mais aussi l’artiste écorché vif qui n’a jamais réellement obtenu satisfaction auprès de ses producteurs. L’anecdote la plus connue étant « la castration artistique » de La Dame et le Toréador par un John Wayne tenant les cordons de la bourse et très à l’écoute d’un autre « John » plus connu pour être le réalisateur de L’homme Tranquille.


Pourtant, à contrario de ses prestigieux homologues Hawks, Mann ou De Toth, Boetticher est le seul qui achèvera sa carrière en fanfare (à l’exception de l’invisible Qui tire le premier ? échec économique retentissant autant pour Audie Murphy que pour le réalisateur) brisant ainsi l’adage voulant que les vieux Maîtres, artistiquement essorés, n’ont plus la fibre créatrice d’autrefois. Escape in the fog n’a donc pas les faveurs de son créateur et c’est bien dans cette voie que l’on serait tenté d’aller tant les intentions les plus nobles sont sur le papier sans jamais êtres idéalement retranscrites à l’écran. Avant de devenir l’incontestable spécialiste de la série B, Boetticher va prendre le temps, films après films, de modeler ce système économique à sa convenance.


Refréner ses ambitions


Il y a un vrai plaisir à visionner une pure série B telle que pouvaient le concevoir les puissantes Majors de l’époque. Tout est dédié à la jouissance immédiate du spectateur. Cet enthousiasme s’accompagne de choix techniques liés au confort de visionnage : un format carré (ratio de l’image 1:37) qui enserre l’action de manière plus démonstrative, une micro durée imposant un montage serré et un sens de l’écriture visant l’essentiel de son intrigue. Tourné à l’économie, Escape in the fog possède tous les attributs précités mais avec un excès d’ambition rendant l’exercice caduque. Eileen Carr (Nina Foch) rêve de l’assassinat d’un agent secret qu’elle finit par rencontrer dans un hôtel. Les images mentales de la jeune femme deviennent alors réalité…


Boetticher ne s’est pas contenté d’illustrer le film noir d’une succession de péripéties excitantes, il a délibérément tenté de jouer la carte du rêve au cœur du pulp. Cette disposition de l’esprit jamais traitée de manière rationnelle permet au film d’accéder au surnaturel et d’étoffer sa simple condition d’entertainment du samedi soir. Le mot « brouillard » (Fog) contenu dans le titre exprime autant l’impalpabilité d’un produit issu de l’imagination que le plaisir pour le cinéaste de vouloir conférer à son métrage une aura fantastique. Piégé dans sa volonté de vouloir jongler entre ses aspirations oniriques et ses obligations envers un genre ultra codifié, le film étouffe son propre désir, celui de caresser le spectateur dans le sens du poil tout en tentant d’illustrer une thématique bien spécifique. De ce fait, le fantasme du songe annonciateur d’un destin inéluctable effleurera à peine les personnages et enverra aux oubliettes les promesses d’une complexité narrative.


Escape in the fog joue donc de forces contraires : l’impossibilité de faire cohabiter son irrationalité au sein d’une oeuvre cartésienne tout en conservant les ressorts scénaristiques habituels du film noir. L’intrigue est ordinaire : il s’agit avant tout pour un agent américain de retrouver une liste compromettante avant que des espions allemands ne mettent la main dessus. On peut comprendre le souhait du réalisateur d’avoir envie de pousser les bords du cadre pour y laisser pleinement entrer un élément onirique. Car si le Boetticher « artisan » mais pas encore « auteur » délivre en préambule quelques « shots » chirurgicaux d’une rare précision, son point de bascule deviendra rapidement une faiblesse de premier plan. Handicapé par ce qui devait être son atout, le film se délite progressivement tant sur sa forme austère révélant les limites d’un coin de studio que sur son acting en roue libre.


Le geste technique du metteur en scène, alors en plein apprentissage, sera autrement plus abouti dans l’un de ses deux films suivants, Behind Locked Doors, série B troquant habilement les espaces ouverts de Escape in the fog pour une enquête dans un hôpital psychiatrique. Un huis-clos mettant à profit ses restrictions budgétaires de la plus belle des manières et en faisant du lieu l’un des personnages principaux de l’histoire. Un choix judicieux de l’enfermement jouant sur une ambiance délétère et une utilisation de l’espace plus maîtrisée.


https://www.lemagducine.fr/cinema/films-classiques/escape-in-the-fog-film-budd-boetticher-avis-10037772/

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le 10 mars 2021

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