Deuil grandeur nature

Il réside dans ce long-métrage documentaire un sentiment immersif qui ne peut laisser indemne. Un pays, que dis-je, une doctrine est comme stoppée d'un coup sec après que les hauts-parleurs des villes annoncent les mots redoutés : Joseph Vissarionovich Stalin est mort. Sur ces images d'archives parfaitement restaurées, Sergei Loznitsa amène le spectateur à contempler une URSS meurtrie par la perte du modèle et perdues dans l'idéalisation d'une figure simplement humaine et profondément cruelle. Tel une véritable expérimentation, State Funeral ne convoque pas de voix-off ou autre aménagement spécifique nous permettant de renouer le contact avec le style habituel du documentaire. Sergei Loznitsa expérimente et nous plonge comme dans une oeuvre sensoriel. Masse gigantesque de population sous la tutelle du parti; immenses gerbes de fleurs transformants le pays froid en véritable jungle; larmes véritables et forcées; omniprésence du leader et l'ombre planante de l'armée vont faire tourner la tête du spectateur le temps d'une immersion complète au cœur d'une URSS qui fût à la frontière d'un bouleversement inévitable. Le temps Lénine-Staline est révolu.

En accordant une place primordiale à cette vision totale des masses voguant au rythme des ordres vers le cercueil de Staline, Sergei Loznitsa en oublierait peut-être de se concentrer vers le plus intime et le moins fourbe : les visages. Ces visages, bien qu'ils soient présents, sont bien trop rapides pour véritablement y étudier les marques significatives de cette ère totalitariste. State Funeral subit aussi le revers de sa grande contemplation : sa longueur. Des fragments de deuil très intéressant sont parsemés le long de cette ''expérience'' en tentant tant bien que mal de cacher les nombreuses images répétitives où il est bien difficile d'en extraire quelques idées. Du percutant et du dispensable conjugue l'essai de Sergei Loznitsa qui malgré ses minutes bien trop poussées, réussi à proposer une autre vision historique qui s'articule autour de l'intime. Cette intimité, c'est celle de ce peuple éparpillé dans une immense région, mais ressentant un sentiment commun : la tristesse de la perte d'un père, ou celle d'un avenir peut-être radieux.

Il est intéressant de noter que State Funeral n'est pas le premier à construire une vision émerveillée sur la fin d'une figure. Bien qu'ici, les yeux se portent sur une population en deuil, d'autres œuvres ont réussies à proposer ce regard mais cette-fois ci sur la mort venant directement assombrir un visage. Je pense évidement au film La Mort de Louis XIV d'Albert Serra sortie en 2017 et menant son spectateur à contempler dans un réalisme incroyable, les dernières heures du roi de France incarnée par un Jean-Pierre Léaud habité.