A l’excès (si j'ose l'assumer ? allez, j'ose^^), je dirais qu’Apatow réalise ici son Sunset Boulevard, pas moins, et transforme son troisième opus en une longue élégie mélancolique et amère des rêves qui n'ont pas su s'incarner.
Alors certes, c’est une comédie, mais c’est une comédie inquiète. Rien n’est heureux, rien n’est léger, même le rire, surtout lui : tout est écrasé par le poids du rire, sous toutes ses formes. Le rire comme un devoir, crispé, questionné sans cesse par Apatow, en en faisant le sujet même du film plutôt que sa finalité.
Pression d’être drôle en permanence, vecteur de malaise, de cruauté ou expression de mal-être, de violence, désamorçant de la détresse ou amorce d’un clivage, barrage à la communication, objet de pouvoir et d’emprise sur l’autre, perversion du sens des choses et du rapport au monde, le rire n’est pas drôle ici, ce n’est pas drôle de devoir l’être, et nous, on rit, mais au fond ce n’est pas tellement drôle. Et les gens marrants sont ici monstres pathétiques. Des bons mots mais si peu de mots justes.
Couleurs délavées, granulosité de l’image, le désenchantement du regard d’Apatow contamine l’image et sa vision du monde. L'amour conjugal, la vie de famille, la maladie, la parentalité, la réussite, Hollywood, la transmission, l’amitié : en somme, rien de neuf chez le cinéaste, mais justement, il semble vouloir les montrer comme autant d’objets ébréchés, déjà trop manipulés, trop consommés, fragiles désormais, tellement qu’on n’oserait plus y toucher. A défaut d’oser y toucher, ou de pouvoir y toucher, oserait-on en rire ? La dérision abîme plus qu'elle ne met en abîme. Le rire comme dépossession d'une souffrance.
Ce rire par défaut, cet humour à tout prix - même raté, comme ultime rapport au monde, c'est ce qui rend cette comédie si malaisante - et son personnage de comique pas comique presque mal-aimable. Adam Sandler est d'ailleurs prodigieux d'ambivalence et sa relation ambigüe, entre mépris forcé et amitié pudique, avec l'attachant Ira, seul point d'ancrage stable dans le film (Seth Rogen, décidément adorable), achève de donner à l'ensemble cette ampleur rare et discrète, toute en gravités contenues et jovialités diffuses.