Les plus jeunes d'entre nous l'ignorent probablement, mais Paul Muni, c'est un peu celui qui préfigure des générations d'acteurs à oscars, le type qui change de peau, de poids, d'accent, d'origine entre chaque film et qui joue le jeu avec un sérieux un peu inhabituel pour l'époque, non sans l'accompagner d'une forme d'innocence brute qui rattrape beaucoup de choses.
Outre le génial Je suis un évadé de Mervy LeRoy, que vous devez aller voir toutes affaires cessantes, Paul Muni interprète avec la même énergie un Italien dans Scarface, un Chinois dans Visages d'Orient, un Mexicain dans Juarez et un Français dans La Vie d'Emile Zola ou dans La Vie de Louis Pasteur, ce qui lui apportera d'ailleurs le prix à Venise et l'Oscar à Hollywood.
Dans Furie Noire, l'acteur d'origine Hongroise, Juive et Polonaise incarne un Slovaque (à moins que ce ne soit un Slovène, ou encore un Tchèque, j'attends confirmation de la Prune) avec tout ce qu'il peut y avoir d'emphase Slave et d'éxagération maladroite jusqu'à devenir touchante. Grimaces, parler petit-nègre, sentiments à fleur de peau, le brave mineur immigré s'en donne à coeur joie et pas sûr que ça passe très bien pour un public peu habitué aux petites naïvetés de cette époque.
Naïveté du sujet aussi, avec un bon bougre d'ouvrier travailleur et amoureux adoré par tous qui rêve d'une ferme pour pouvoir élever des enfants et des porcs avec sa belle, et qui se retrouve plongé dans l'alcool, la grève et la politique douteuse après l'abandon de celle-ci. Dans ce film, les syndicats sont un peu des vendus, les milices sont ultra-violentes, une foule à qui on demande son avis vote n'importe comment à chaque fois, et les admirateurs d'hier deviennent les plus zélés ennemis du lendemain, c'est fou comme il y a des choses qui ne changent pas.
Karen Morley est plutôt mignonne avec du charbon sur le nez, John Qualen est comme à son habitude formidable de silhouette malingre et de moustache tombante, et nous avons même le droit d'apercevoir quelques instants Ward Bond et Akim Tamiroff. Comme d'habitude dans les productions Warner tout est très bien rendu, des décors chouettes, une belle photographie, les cadrages toujours réussis de Curtiz qui enquille ses quatre films par an avec une régularité confondante, et un sujet plutôt original.
Parce que, dans cette veine sociale qui marqua le studio dans les années trente, la vie et le travail des mineurs est plutôt bien montrée et même intéressante, ce qui fait une grande partie de l'intérêt d'un film un petit peu plus désuet dans le déroulement de son histoire.
Un film mineur, donc, si j'ose dire, et qui prouve qu'avec vraiment du métier, les productions de l'époque arrivent toujours à se regarder sans ennui aujourd'hui.