On fait rarement le rapprochement, mais il faut bien se dire que ces dernières années, un bon film de guerre est encore plus rare qu'un bon western. C'est dire ! En soit le projet de David Ayer a tout pour plaire, un concept plutôt original porté par un réalisateur qui a de bonnes idées et le casting qu'il faut. On pouvait éventuellement se montrer sceptique après le calamiteux Sabotage, dont on imputera tout de même l'échec au scénariste Skip Woods, qui avait déjà exposé ses "talents" sur le dernier Die Hard. Écoutille verrouillée et moteur diesel rugissant, lançons-nous à bord du fameux tank Sherman dans un périple à travers les horreurs de la guerre.

"Das Boot dans un tank", voilà ce que Fury m'évoquait dans un premier temps. Et pour cause, le film d'Ayer hérite beaucoup du chef-d’œuvre de Wolfgang Petersen, notamment dans la manière toute simple mais efficace de faire découvrir un univers mécanique inédit à travers les yeux d'un bleuet s'initiant au quotidien des tankistes. A l'instar de Petersen et son U-Boot, très vite, on se rend compte qu'Ayer sait filmer son blindé. Peut-être l'aurait-on encore souhaité encore plus monstrueux, à la manière de Duel, mais aucun doute sur le fait qu'il existe à l'écran comme un personnage à part entière, un organisme mécanique dédié à cracher les flammes de l'Enfer.

Dans toute sa première partie, Fury s'évertue à caractériser finement les personnages de l'équipage et plus généralement le comportement du soldat américain. Le formatage des mentalités et l'industrialisation extrême de la guerre semble d'ailleurs être d'autant plus d'actualité. Ainsi, la violence psychologique de Fury n'a pas peur de s'exposer, au point de transfigurer le personnage de Brad Pitt en patriarche tankiste autant moral qu'amoral, un mélange au résultat ambigüe et plaisant autant que dérangeant. Ceci couplé à la violence physique très sèche du film, peut-être inaperçue dans le genre du film de guerre depuis John Rambo, et rappelant parfois évidemment le film de Spielberg, Il faut sauver le soldat Ryan. L'héritage de Sam Peckinpah n'est jamais bien loin, et est peut-être résumé par l'image atroce de ce cadavre écrasé par un tank et disparaissant à jamais dans la boue, citation explicite de Croix de Fer.

On observe tout de même un rythme assez brinquebalant. Pourtant, en soit, rien est à jeter dans ce qui est montré, Fury ne se perd pas dans des emphases superflues, mais curieusement le rythme parait peu maitrisé alors que l'on s'intéresse vraiment à ce qu'il se passe à l'écran, un paradoxe particulier. Le problème atteint une sorte de paroxysme dans une scène centrale chez des civiles, explorant davantage la caractérisation des personnages mais ruinant le rythme du film. On repense presque à la scène des colons français dans Apocalypse Now Redux. La seconde partie de Fury en porte les stigmates et semble moins efficace, voire laisse parfois des doutes sur le discours d'Ayer. La fin apparaît presque comme une facilité bien trop anticipée, hélas.

Cela dit, si je me permets de faire la fine bouche sur certains détails du film d'Ayer, c'est parce qu'il a tout de même le potentiel d'être à plus d'une reprise un film de guerre remarquable et percutant. La caméra d'Ayer, relativement sobre d'ailleurs, fait mouche et capte à merveille l'univers dans une esthétique froide, nuancée parfois par des teintes surréalistes bienvenues, de l'usage des balles traçantes à ce final semblant se dérouler dans les abîmes de l'Enfer. L'ambiance est d'autant plus relevée par certaines compositions dissonantes et puissantes à l'influence mécanique ou industrielle de Steven Price. Cependant, on retrouve tout de même les défauts du compositeurs de Gravity dans d'autres musiques qui deviennent brouillonnes ou alors au mélo-dramatisme automatisé. Au tableau des défauts, pour en finir, on notera éventuellement un format cinémascope qui n'est pas du tout adapté au sujet, même si David Ayer s'en sort avec les honneurs dans sa captation de l'intérieur du blindé.

Pendant le tournage du film, on avait tout entendu au sujet de Shia LaBeouf, qui avait vraisemblablement pété un plomb dans sa plongée dans le personnage, allant parait-il jusqu'à s'arracher lui-même une dent. Si l'on peut, sans doute à juste titre, remettre en cause l'intelligence de la démarche, nul doute en revanche que LaBeouf s'intègre parfaitement à l'univers du film et forme un duo remarquable avec Brad Pitt, ce dernier tenant d'ailleurs encore un rôle ambigüe déconstruisant finement son image de jadis. De manière générale, le casting fait complètement corps avec la machine de guerre Fury.

Malgré les défauts, autant ne pas bouder son plaisir et déclarer "pari réussi" pour David Ayer qui a fait un authentique film de guerre à l'héritage noble, en tenant son concept sans trop en faire. Alors que la perspective d'un film autour d'un blindé semble alléchante, il faut semblerait-il remonter jusqu'en 1988 : La Bête de guerre de Kevin Reynolds. Pour du duel de blindés pendant la seconde guerre mondiale, on pourrait presque remonter jusqu'en 1970 avec De l'or pour les braves de Brian G. Hutton qui offrait lui aussi un affrontement Sherman versus Tigre plutôt cocasse, cela dit. Quoi qu'il en soit, il faut admettre que le genre revient de loin et que Fury écrase littéralement les vaines tentatives de film de guerre de ces dernières années.

Il ne me reste plus qu'à conclure sur une citation de Croix de Fer de Sam Peckinpah :

"- Que ferons-nous lorsque nous aurons perdu la guerre ?
- Se préparer pour la suivante."

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le 23 oct. 2014

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Lt Schaffer

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