Les idéaux c'est pour rêver, la vie est violente
Je commencerai par rejoindre plusieurs commentaires pertinents de certains de mes éclaireurs : le film de guerre souffre. Ca commence mine de rien à faire un bout de temps que nous n'avons pas eu la chance de mettre la main sur quelque chose de percutant et d'abouti. Donner un oscar à Démineur fut une pure connerie. Du sang et des larmes pour spectaculaire qu'il est s'est embourbé dans le spectaculaire à outrance. La série des Saints and Soldier boxe dans la catégorie téléfilm fauché pour feu la Cinq, les daubes du genre Der Rote Baron ou Act of Valor plongent le genre dans les tréfonds infernaux.
Finalement les dernières bonnes surprises sont rares ; Battle for Haditha, très bon, Le Tigre Blanc si étrange mais si intéressant, ou encore Le 9è Escadron ou Kippour qui bien que perfectibles sont au-dessus du lot.
Mais après tout qu'est-ce qu'un bon film de guerre ? De l'action ? Du sens ? Un regard acide à la Sam Peckinpah ou Tarantino ? Onirique à la Malick ? Réaliste à la Petersen ?
D'une certaine façon Spielberg a répondu en imposant son canon avec Le soldat Ryan. Du rythme, un regard humain sur la figure du soldat, la capacité à aborder des faits plus troubles comme la gestion des prisonniers, l'humanisation relative de l'ennemi et en point de conclusion un final hollywoodien.
Attention, il y aura quelques spoils.
Il semble que Pitt et Ayer se soient nourris de ces multiples influences pour livrer cette belle copie d'une très bon film de guerre - pour peu que l'on sache dépasser l'approche primaire "la guerre c'est pas bien et les américains sont des enfoirés - à défaut d'en être un très grand. Comme j'ai apprécié le film, je vais commencer par ce qui m'a dérangé. La musique qui porte La Ligne Rouge ou Dast Boot est ici lourde et tellement jalonnée de clignotants "attention violons, c'est triste" qu'elle ne sert jamais l'oeuvre. Tout de même dommage de livrer une partition classique qui affaibli le film. Le pire néanmoins reste la fin. Franchement, comment croire une seconde à cette séquence toute droit sortie du Soldat Ryan? Un demi cerveau de connaisseur suffit démonter cet assaut ; nous voici donc devant des SS dans la force de l'âge, donc des vétérans, bien équipés de panzerfausts dont on nous a montré l'efficacité en début de film sur un pauvre char de tête, incapable de venir à bout d'un pauvre Sherman immobilisé ? Personne parmi ces Nazis n'aurait eu l'idée, une fois la surprise passée, d'encercler le blindé, de l'arrosé de quelques tirs sur les côtés pour au pire enfumer l'équipage et plus certainement les brûler ? J'ai souffert devant cette séquence finale finalement assez niaise dès lors que l'on connait un peu la chose. Tout est écrit d'avance, aucune surprise dans la conclusion et c'est fort dommage de finir ainsi par une séquence à la Call of Duty là où le reste fut de bonne facture. Du pathos en veux-tu en voilà, un assaut indigeste de stupidité tactique, qu'il est terrible de finir ainsi.
Car derrière cette véritable faiblesse, il faut redescendre sur Terre ; Fury est pétri de qualités et permet au genre guerrier hollywoodien de redresser la tête. Le casting tout d'abord tient largement la route. Pitt est très bon en père spirituel, figure héroïque classique certe, mais bien faite, Leboeuf percutant de Foi, Bernthal odieusement humain, Lerman sagement déboussolé. Jusqu'à la séquence finale, le rythme est bon. J'ai bien aimé la pause auprès des deux allemandes qui aborde pêle-mêle le pillage des alliés, le viol fréquent, l'effondrement d'un monde pour les nazis convaincus. J'ai aussi beaucoup aimé les assauts avec en point d'orgue LE duel face - mon cœur a mis du temps à s'en remettre - à un VRAI TIGRE !!! La caméra au cœur du Tank est excellente, les détails géniaux. Ces soldats sont humains, cette fin de guerre est atroce car finie, elle s'éternise néanmoins. Je n'avais pas senti cette approche depuis Au-delà de la Gloire de Fuller. La vie quotidienne de ces tankistes est crédible, crasseuse et proche de celle des sous-mariniers que Petersen a brossé dans Das Boot.
Les qualités sont donc là, Fury est un très bon film de guerre hollywoodien MAIS que la fin expose aux pires tourments du genre. Ayer n'a pas su aller au bout des choses, n'a pas eu l'envie ou la carrure pour livrer un film sans concession. Violent mais au final propre, horrible mais heureux, terrible mais "épiquement" niais, c'est là toute la limite qu'a imposé le succès du Soldat Ryan ...