FURY : Le nerf de la guerre
Âpre, violent et spectaculaire, le nouveau long-métrage de David Ayer manque de peu d’atteindre les classiques du film de guerre.
Le premier plan de Fury est assez parlant : avec sa lumière trompeuse, on croirait voir une forêt en contre-plongée. En réalité, la vue d’un soldat allemand sur un cheval nous confirme qu’il s’agit bien de terre retournée par la bataille qui vient de s’y dérouler. Il n’est pas question d’assister ici à une vision d’ensemble de la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais bien à la description d’un microcosme. Nous sommes en 1945. Les troupes américaines percent le front allemand, alors que les deux armées sont affaiblies et désespérées. Dans ces dernières batailles décisives, le sergent Don Collier (Brad Pitt) mène son équipe dans un tank Sherman en promettant de les ramener chez eux une fois le carnage terminé. On a du mal à y croire, mais on ne peut s’empêcher de l’espérer, tant le film décrit comme rarement la personnalité de ces êtres évoluant dans l’horreur de la guerre, avec le paradoxe d’être aux premières loges tout en étant protégés par leur char, comme dans un cocon que l’on ne quitte que rarement.
Ce parti-pris du huis clos guerrier, assez novateur, est particulièrement représentatif des ambitions du réalisateur David Ayer. Habitué à un cinéma assez testostéroné, il est contraint ici de canaliser sa caméra, comme les soldats tentent de contrôler leur corps et leurs émotions devant l’enfer auquel ils assistent. Bien que jouant la carte du réalisme, notamment grâce à une lumière très inspirée d’Il faut sauver le soldat Ryan, le réalisateur ne tombe jamais dans la facilité de la shaky cam pour offrir une lisibilité maximale durant les batailles, et donc, une plus grande tension. C’est d’ailleurs dans ses scènes d’action que Fury est le plus prenant, parvenant à nous placer au plus près des chenilles afin de mêler la violence et l’angoisse, accompagnées de la puissante musique de Steven Price. Entre les tirs ultra-rapides d’une mitrailleuse et le rechargement d’un canon, le temps semble se dilater, passant d’une rapidité extrême à une lenteur insoutenable. Mais derrière l’immersion que permet le concept, le cinéaste cherche à montrer que les parois des tanks ne sont que des façades, qui n’évitent pas les traumatismes. La force de Fury réside dans sa manière de ne jamais laisser le spectateur se remettre de ses émotions. Même dans les moments d’accalmie, la caméra trouve toujours un élément choquant à filmer, qu’il s’agisse de citoyens allemands pendus à des poteaux électriques ou de cadavres décomposés et mélangés à la boue.
Dès lors, quel que soit le caractère que se donne chaque personnage (mention spéciale à Shia LaBoeuf, impressionnant de sobriété en religieux perdu entre sa foi et ses actions), on sait qu’il y a forcément un événement douloureux qui se cache derrière, et qui les marquera à vie. Si le sergent Collier s’éloigne quelques instants après avoir jouer les durs à cuire, c’est pour aller pleurer à l’abri des regards. Loin d’une quelconque idéalisation de l’atrocité de la guerre, Fury appuie une cruauté qui appartient aux deux camps. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que le film suive plutôt le point de vue de Norman (Logan Lerman), une jeune recrue innocente qui, comme le public, ne va pas le rester très longtemps. La violence le hante. Elle est partout, détruisant à chaque fois ce qui semblait réparé. Le meilleur exemple est sans nul doute cette scène de repas dérangeante avec deux civiles allemandes, où même un doux air de piano n’arrive pas à faire oublier les souvenirs affreux des soldats. Il faut même attendre que Norman tombe amoureux de l’une des deux femmes pour que leur immeuble soit bombardé, et qu’elle meure.
David Ayer ne laisse ainsi aucune lueur de vie dans son film. Elles sont toutes réduites à néant, mis à part la fraternité qui relie les cinq membres du tank. C’est alors la justesse de leur écriture qui confère à la sincérité du propos. Dommage que la dernière partie du long-métrage, qui était jusqu’alors assez critique sur la vision messianique avec laquelle les Américains percevaient leurs actions, ne tombe dans la démagogie de l’héroïsme. Après avoir montré les failles d’hommes qui avaient pu se laisser manipuler par leurs pulsions, leur sacrifice les lave de tout péché. S’il reste violent, Fury perd dès lors de sa brutalité, retombant dans certains travers du film de guerre à l’américaine. On l’aurait aimé mordant et choquant jusqu’au bout, mais reconnaissons que le film n’oublie jamais son axe principal : décrire un microcosme familial au sein de l’inhumanité, une parenthèse guerrière prenant la forme d’un tank.