Fin des années 2000, début des années 2010. Lady Gaga est l’idole de la pop par excellence. La sortie de The Fame puis de The Fame Monster l’a projetée en haut des charts et ses apparitions toujours hautes en couleurs et volumes en ont fait une icône incontournable. Le monde entier a les yeux fixés sur elle, que ce soit pour l’aduler ou la dénigrer, et ses morceaux retentissent depuis toutes les radios.
- Depuis quelques années, Lady Gaga semble s’être faite plus petite, du moins à l’international. Impression qui est aussi bien l’effet d’un inévitable effet de lassitude du public lambda, de difficultés personnelles que de choix. Avec le temps, l’impact de ses apparitions burlesques a logiquement diminué, puisqu’il est difficile y compris pour elle-même de relever la barre au-dessus de costumes que l’on tient toujours comme des références dix ans plus tard. Il y a cependant également pour elle la volonté de revenir à une approche plus simple, plus intimiste, plus sincère, qui correspond également à sa maturation en tant que femme et sa propre conscience d’être arrivée au bout de son personnage provocateur. Ce documentaire raconte cette transition, et comment elle s’exprime au cours d’une année riche en événements et en présence publique pour elle.
Dès les premières images, les intentions du réalisateur et de la chanteuse sont claires : exit la figure glamour et tapageuse de Lady Gaga, nous faisons place ici à une Stefani Germanotta beaucoup plus naturelle. Elle apparaît maquillée simplement, les cheveux tirés en arrière, dans un survêtement gris et noir. Le but n’est pourtant pas ici de témoigner du décalage entre sa vie privée et son personnage public, mais plutôt de servir d’amorce d’explication quant au retranchement de celui-ci. De Lady Gaga, Stefani Germanotta garde le pseudonyme, mais elle clame elle-même qu’elle ne peut pas la redevenir. A l’aune de la trentaine, l’icône à laquelle elle a donné vie ne correspond plus à ses aspirations, mais il n’en reste pas moins difficile de sortir de la lumière d’un phare aussi puissant. Stefani Germanotta se montre ainsi perpétuellement préoccupée, lors de ses apparitions publiques, par la crainte de décevoir ou déstabiliser ses fans par ce sursaut de simplicité (tout relatif). On imagine facilement que, pour un artiste qui verse son âme dans son œuvre, le risque de s’apercevoir que le monde n’aimait que les paillettes et les illusions de la scène et qu’on ne l’intéresse pas au-delà peut s’avérer particulièrement terrifiant.
Ainsi, Stefani Germanotta arrive à un point de sa vie où, plus affirmée en tant que femme, plus confiante en elle-même et en son travail, elle cherche à insuffler plus de sincérité et de naturel à son image. Bien sûr, ses textes ont toujours été personnels, et les pistes de The Fame Monster représentaient par exemple les différentes peurs qui l’assaillaient à ce tournant de sa vie. Cependant, avec Joanne, elle n’hésite pas à relater, notamment, une histoire familiale sensible, dont la révélation sera l’occasion d’une scène émouvante. Seulement, on ne peut s’empêcher de penser que cette exposition des fissures de la chanteuse a quelque chose de trop instrumental. Ainsi, on la verra craquer, physiquement et mentalement. On évoquera ses problèmes de santé et ses échecs amoureux, et s’il ne fait aucun doute que sa souffrance est réelle et pèse lourdement sur sa vie, il est impossible d’oublier que l’humanisation des idoles est un argument marketing qui fait ses preuves depuis longtemps. Loin de moi l’idée de remettre en question la sincérité du projet, mais en tant que visionneuse méfiante, ce spectacle me fait bien peu d’effet, et rien dans l’approche somme toute timide du réalisateur ne m’incite à aller au-delà de cette froideur initiale.
Cela est d’autant plus dommage qu’ici et là, Stefani Germanotta se laisse aller à des confidences à la portée puissante, notamment sur la place de la femme dans l’industrie. Elle mentionnera ainsi sa difficulté à se sentir suffisante, en partie due au fait qu’il n’est possible de se faire une place que par l’intermédiaire des hommes. A ce propos, elle lâchera quelques phrases sur l’attitude des producteurs qui prennent un retentissement tout particulier dans le contexte actuel. Pour ma part, j’en retiens surtout le passage où elle explique avoir développé son esthétique burlesque comme un moyen de répondre aux exigences des producteurs qui demandaient une image plus sexy et plus pop tout en conservant le contrôle sur son image : adolescente, je l’avais flairé instinctivement et tout mon attachement à l’artiste en découle, puisque cela correspond plus ou moins à mon attitude face à la vie en général. Ces tirades aux échos fortement féministes émaillent le film et, même si elles ne sont pas rassemblées en un discours cohérent et orienté, elles reviennent avec suffisamment de régularité pour que l’on comprenne l’importance du sujet pour l’interprète. C’est finalement en cela, plus que dans le portrait intimiste, que Gaga: Five foot two parvient à constituer Lady Gaga en tant que figure inspiratrice à laquelle il est possible de s’identifier. Si la vue de ses blessures ne parvient pas à faire oublier la distance de sa vie à celle du commun des mortels, ses positions et valeurs ont en revanche d’autant plus d’impact qu’elle est dans une position privilégiée pour les faire entendre.
Néanmoins, même si le propos n’est pas inintéressant et permet d’éclairer une autre facette de l’artiste pop, le fait est que le documentaire en lui-même n’est pas des plus captivants. Globalement, l’image est quelconque, presque dépourvue de mise en scène, dans un format qui se rapproche finalement plus du reportage. La caméra se contente de suivre Stefani Germanotta mais le réalisateur n’apporte rien de plus que ces moments captés qui n’ont globalement rien d’exceptionnel. C’est seulement dans le dernier quart du documentaire que Chris Moukarbel se permettra quelques libertés en termes de forme et de narration, qui ont effectivement tout de suite plus d’impact, mais qui arrivent un peu tard. Ainsi, si le contenu est satisfaisant, on a la désagréable impression que la caméra était superflue et que l’on aurait aussi bien pu se contenter de laisser la jeune femme s’entretenir avec un journaliste en vue d’une publication écrite. Sans doute cela lui aurait-il permis de s’exprimer de manière plus précise et détaillée, et renforcé son discours qui apparaît ici dilué dans d’innombrables prises sans relief et parfois même peu pertinentes.
En somme, Gaga: Five foot two apparaît comme un documentaire de plus dont le sujet est l’unique intérêt, et qui semble faire bien peu d’efforts par ailleurs. Cela aurait sans doute pu fonctionner si Lady Gaga s’incarnait toujours dans une figure glamour et décalée qui aurait saturé l’image, mais s’agissant de peindre un portrait plus intime et moins provocant, on se demande si ce format était bel et bien pour la chanteuse la meilleure tribune. On ne peut ainsi se défaire du sentiment d’avoir contemplé un coup marketing paresseux, et d’avoir consacré au visionnage trop de temps pour ce qu’il y avait à en retenir. Si le résultat n’est pas pour autant catastrophique, on se serai attendu à résultat plus raffiné s’agissant de faire hommage à une artiste qui a toujours maîtrisé son image avec audace et brio. C’est bien tout le contraire du film.