Une pièce de théâtre en forme de confrontation entre deux acteurs, Lino Ventura et Michel Serrault, des dialogues de Michel Audiard qui sait juguler son exubérance habituelle pour servir la noirceur de l'intrigue, Garde à vue ne manque pas de convaincre. La notion de réalisme évacué, on peut profiter de ce numéro d'acteurs. Grâce au huis-clôt, l'intérêt attendu du genre se déplace : plus question de suspens façon thriller, plus vraiment d'attente façon who dunnit, ce qui compte c'est l'enquête seule. Le dialogue seul permettra de dresser les caractères des personnages.
Lino Ventura, c'est le policier blanchi sous le harnais, méticuleux et soucieux de ne pas commettre d'erreur. Il va donc reprendre, patiemment, tous les éléments du dossier. Seulement, le système de garde à vue, en mettant d'emblée son interlocuteur sur la défensive, déforme les faits. Dès lors la vérité, qui apparaît comme évidente, fuit au contraire, et sinue. Le notaire, qui était venu déposer, se replie sur lui-même et camoufle du mieux possible cette vérité. Le fait même de décortiquer méticuleusement chaque aspect du crime fait perdre la vue d'ensemble. Nous suivons le point de vue de Ventura, et évoluons avec lui.
Face à lui, Michel Serrault, impérial. Il est détestable, méprisant, arrogant. Fragile, pourtant. Quelques écarts du dialogue permettent de cerner tout de suite le personnage. Lino Ventura veut le croire coupable, mais il hésite. Nous aussi voulons le voir coupable, il est trop malin, trop tortueux, comment pourrait-il être innocent? Et cependant, à part quelques astuces plutôt médiocres de Lino Ventura, il n'y a aucune preuve. Et la présomption d'innocence? Est-ce que le fait de mettre quelqu'un en garde à vue, ce n'est pas déjà y toucher, à cette fameuse présomption?
Garde à vue rejoue ainsi à sa manière les enjeux de Douze hommes en colère, bien que les deux films soient très différents. En répondant à la question posée, d'une manière qu'on ne dira certainement pas, Garde à vue est sans doute moins fin que son illustre aîné, mais par son attention portée aux personnages, garde intact un certain pouvoir de fascination.