Monument de la littérature américaine du XXème siècle, Gatsby le Magnifique de Francis Scott Fitzgerald a souvent été réputé comme inadaptable, malgré déjà quelques relectures cinématographiques en 1923, 1949 et surtout 1974, où Robert Redford prêtait ses traits au personnage emblématique de Gatsby. Mais c’était sans compter le réalisateur australien Baz Luhrmann, qui, après le flop d’Australia en 2008, compte bien redorer son blason avec une œuvre plus proche de ces précédents films Roméo + Juliette et Moulin Rouge ! .
Mais le pari est risqué. Le réalisateur met d’abord en place des moyens faramineux pour retranscrire au mieux l’ambiance décrite par Fitzgerald, entre fêtes clinquantes des années 20 et mystère autour de la figure de Gatsby. Sur le premier point, Luhrmann s’en tire avec les honneurs. Les soirées mémorables organisées par le jeune milliardaire sont parfaitement réalisées, avec juste ce qu’il faut de clinquant pour ne pas sombrer dans un kitch que l’on redoutait. Dans ces scènes, la réalisation très découpée et les musiques enivrantes donnent une envie folle au spectateur de traverser l’écran et rejoindre cette époque où tout semblait possible avant que la crise et la guerre ne ramènent à une dure réalité. Mais cette technique de mise en scène lasse facilement lorsqu’il s’agit de rentrer dans l’histoire. Les scènes s’enchainent tellement rapidement dans la première heure de film que l’on a à peine le temps de les comprendre et de les apprécier avant qu’elles ne disparaissent pour laisser place à une nouvelle scène d’orgie.
Heureusement pour nous, Baz Luhrmann se calme dans une seconde partie plus posée qui permet de dérouler l’intrigue dans une fluidité plus appréciable au niveau de la mise en scène, malgré quelques scènes encore inutiles qui ne servent que pour « le style », comme ces déplacements en voiture assourdissant et mal rendu par la 3D. Une 3D qui, mise à part cela, est d’ailleurs dans l’ensemble assez réussit, apportant une vrai profondeur au décor et donnant au film un aspect de rêve éveillé, tel que dans sa scène d’ouverture où l’on semble voler entre les Buildings d’un New York en effervescence, ce qui n’est pas sans rappeler l’introduction sublime d’ un certain Hugo Cabret il y a deux ans.
Mais si ce Gatsby 2013 a du style, c’est surtout grâce à son casting en or. Leonardo DiCaprio, loin des personnages sombres et torturés auquel ils nous avaient habitués depuis quelques années, nous prouve une fois encore qu’il est bien le meilleur acteur de sa génération, totalement habité par son rôle. Illuminant plus que jamais l’écran de son charisme de star, il interprète une vision très complexe de Gatsby, laissant de côté la part mystérieuse du personnage pour se concentrer sur son ambiguïté psychologique, entre douceur lorsqu’il est au coté de Daisy et explosion de colère inattendue. Cependant, le reste du casting parvient à ne pas rester dans l’ombre de la star, à commencer par Carey Mulligan, rayonnante en Daisy, et Joel Edgerton, que l’on a hélas tendance à oublier alors qu’il est épatant dans le rôle du mari de la jeune femme, rendant ce personnage bien plus intéressant qu’il ne l’était à la base. On retrouve aussi Tobey Maguire, l’éternel Spiderman, assez décevant dans le rôle de Nick Carraway, un personnage à la fois central, car c’est par son regard que l’on perçoit l’histoire, et secondaire, puisqu’il ne participe qu’indirectement à l’action.
Alter-ego de Gatsby/DiCaprio, le personnage de Nick, que l’on voit par intermittence en flash-back en train d’écrire ce qui sera Gatsby le Magnifique, n’est cependant pas très bien traité par Luhrmann, qui ne semble pas vraiment savoir que faire de lui. Omniprésent dans la première partie, il s’efface étrangement dans la seconde, alors qu’il aurait été certainement plus juste de trouver un équilibre entre ces deux extrêmes. De plus, l’utilisation de la voix off de ce personnage devient de plus en plus agaçante au fur et à mesure que le film avance, bien qu’elle soit totalement indispensable. On doit cela à l’utilisation quasiment mot à mot des phrases du roman d’origine, particulièrement à la fin où elles sont même inscrites à l’écran, ce qui est un choix très osé que le réalisateur avait déjà expérimenté dans Roméo + Juliette, mais qui est ici empreint de lourdeur nuisant au déroulement limpide de l’intrigue et causant à certains moments d’importantes longueurs.
Pour conclure sur une note positive, parlons de la bande originale de Gatsby orchestrée par le rappeur Jay-Z. Entre sonorité jazz typique des années 20 et sons hip-hop et électro beaucoup plus moderne, le résultat est tout simplement détonnant. Chaque chanson se fond parfaitement avec la scène qu’elle illustre, comme les retrouvailles des deux amants perdus sur une ballade de Lana Del Rey, la superbe ouverture sur un tube du duo Jay-Z / Kanye West et surtout une des dernières scènes à l’origine d’un retournement de situation inattendue sublimée par le « Love is Blindness » de Jack White. Et l’on ne parle pas de toutes les scènes de fêtes, dont l’anachronisme musical ne fait que mieux ressortir toute la folie de cet univers.
Bref, malgré ses défauts, Gatsby le Magnifique reste un film convaincant et très divertissant, à la fois très moderne et fidèle à l’œuvre originale de Fitzgerald. Une parfaite ouverture au festival de Cannes 2013 où l’on a pu découvrir le film en avant-première.